Les méta-analyses et le cannabis, ou la négation du savoir clinique, 21 Septembre 2011, Dr. Christian Sueur,

Les méta-analyses et le cannabis, ou la négation du savoir clinique

21 Septembre 2011
Dr. Christian Sueur, Psychiatre, praticien hospitalier

Les meta-analyses et le cannabis - Dr Sueur

http://tdme.free.fr/?p=2730#annot8

 

A l’ère des méta-analyses, la clinique psychiatrique bat de l’aile…., Ce que l’on peut lire aujourd’hui sur les « dangers du cannabis » fournit un exemple étonnant de cette perte du savoir clinique.
Et pourtant, bien des « méta-analystes » qui parfois, n’ont jamais vu un patient, sans vergogne, « disent le vrai », et emportent l’opinion avec eux, opinion et journalistes qui se font l’écho de ses assertions, sans même émettre la moindre critique vis-à-vis de ces « chiffres » érigés en « vérités ».

« Une méta-analyse est une démarche statistique combinant les résultats d’une série d’études indépendantes sur un problème donné. La méta-analyse permet une analyse plus précise des données par l’augmentation du nombre de cas étudiés et de tirer une conclusion globale. Cette démarche est largement utilisée en médecine pour l’interprétation globale d’études cliniques parfois contradictoires » (1)
La méta-analyse est bien extérieure au champ clinique, puisqu’elle ne traite que de statistiques, à partir d’études elles même le plus souvent bien étrangères au champ clinique : la méthode de comptage « épidémiologique », parfaitement adaptée à l’infectiologie, est tout à fait, du fait de la multiplicité des paramètres en jeu, et de la « subjectivité » incontestable de l’importance respective attribué à chacun des paramètres considéré, fortement discutable, dans sa validité même, dans le champ psychiatrique.

C’est également le cas dans notre domaine, même si l’on prend en compte les « effets de l’intoxication », lorsqu’il s’agit d’une substance psychotrope, modifiant la fonctionnalité du système nerveux central.

Nous n’allons pas refaire ici toute l’histoire de la constitution des concepts psychiatriques, psychopathologiques, cliniques et thérapeutiques, concernant l’usage de drogues ou les toxicomanies, mais nous allons tenter d’illustrer par une réflexion sur la dramatisation de l’usage du cannabis, et la mise en évidence, fallacieuse selon nous, de ses supposés effets « toxiques » sur la santé mentale des consommateurs, ce « grand renfermement » des patients « usagers de cannabis », dans un contexte de plus en plus marqué par le retour de « l’hygiénisme moral », et l’évitement de la clinique et de la psychopathologie forgées depuis des décennies aux cotés des patients, et des usagers de drogues.

Notre propos est donc à contre courant du discours médiatique politiquement correct, porté par exemple par la respectable Académie de Pharmacie, qui, dans son alerte sur la « pandémie cannabique » (2), « exprime, à nouveau, son inquiétude face aux chiffres alarmants de la consommation de cette drogue en France (…) une drogue dangereuse dont l’élimination lente masque la dépendance des consommateurs », une drogue qui recèle des « dangers désormais bien établis » : « effets anxiogènes, effets dépresseurs », et surtout « un facteur très important de décompensation des états schizophréniques, facteur d’aggravation de ceux-ci, et de résistance à ses traitements, développement du syndrome amotivationnel, avec perturbation des mécanismes éducatifs ( !!!) par trouble de la mémoire opérationnelle et défocalisation de l’attention, induction de la consommation d’autres substances addictives : héroïne, alcool, tabac » (la « vieille théorie de l’escalade »).

 

La constitution d’un savoir sur les effets des drogues

La prise en charge des toxicomanes s’était organisée en France, en un « secteur institutionnel spécialisé », à partir du début des années soixante dix, comme une conséquence directe de la loi du 31 décembre 1970, qui positionnait l’usager de drogues, à la fois comme « délinquant », devant subir les foudres de la répression, instituée par la mondialisation de la prohibition à partir des Conventions internationales de New York sur les stupéfiants de 1961, et comme « malade », pouvant bénéficier, comme tout sujet souffrant d’une « aliénation », fusse-t-elle chimique, de conditions privilégiées de traitement.
Rappelons quant même qu’à l’époque, il était principalement question des héroïnomanes, et, secondairement des utilisateurs de barbituriques, d’amphétamines et de cocaïne. Les usagers de cannabis, ou de substances « psychédéliques » n’étaient alors pas considérés comme des « drogués », mettant en danger leur santé, mais comme des « marginaux », tentant d’inscrire des modifications sensorielles, expérientielles et comportementales dans un mode de vie sociétal majoritaire vécu comme très « moraliste » et aliénant (des « psychonautes », inscrits dans une « contre –culture »).
Les « manies » comportementales d’usage compulsif de substances psychotropes, de toxicomanies, devinrent pharmacodépendances, plus ou moins associées de psychodépendance, et enfin, addictions (« contrainte par corps »), dans un glissement sémantique, surdéterminant le sens étiologique réservé par les théoriciens successifs, à cet « échafaudage de secours » (Freud), ou cette passion funeste… (3)

Le secteur spécialisé, institué par cette loi de 1970, s’est très tôt constitué en référence à la psychanalyse. Ce secteur a non seulement établi, au fil des années, une pratique clinique originale, mais elle a également élaboré des théories, et une psychopathologie spécifique. Certains ont ainsi, durant les années 70 et 80, revisité la théorie freudienne, afin d’en tirer des éléments étiopathogéniques, et de constituer les éléments d’une « possible psychothérapie » des toxicomanes. (4)

Mais, ces institutions se sont également constituées dans une certaine « rupture » vis-à-vis de l’institution aliéniste, en faisaient preuve « d’un souci d’accompagner les malades dans une grande proximité avec lui, et un respect pour la fonction réparatrice du symptôme ». (5)

Même si ces lieux étaient avant tout organisés pour répondre à l’héroïnomanie, une clinique différentielle de la schizophrénie y a vu le jour :
• Certains des patients héroïnomanes, aux décours du sevrage, mettaient en évidence une « psychose cachée », jusque là « colmatée » par la toxicomanie opiacée, le produit tenant lieu d’antipsychotique, et la toxicomanie, celle d’un « traitement naturel » de la psychose.
• D’autres patients, qui « gravitaient » dans le même milieu que ces héroïnomanes, mais qui consommaient plutôt des substances « psychédéliques » (cannabis, LSD, champignons hallucinogènes et autres tryptamines, amphétamines, Artane®…), apparaissaient clairement comme des schizophrènes, dont la consommation de produit psychotrope n’était pas causale, mais plutôt secondaire, et qui leur permettait de trouver dans ces institutions, une alternative à la psychiatrie classique.

 

Conceptions récentes : comorbidité, et « toxicité du cannabis »

Au cours des années 90, un nouveau discours est né, celui sur les « comorbidités », les « troubles induits », liés à la consommation de drogue, reprenant en partie le discours plus classique sur les complications psychiatriques : notre thèse est que ce mouvement idéologique, s’appuyant sur des hypothèses scientifiques tirées de certains des enseignements de la neurobiologie, ou de l’épidémiologie (et surtout de la statistique), en est venu, pour crédibiliser la théorie de la « folie cannabique », à promouvoir cette logique discutable dans laquelle « le mal n’a que deux localisations possibles, soit il vient du dedans, inscrit dans une tare génétique, soit il vient du dehors, sous la forme d’une attaque analogue à celle du microbe ». (6)

La théorie qui promeut l’hypothèse que la consommation de cannabis puisse déclencher, où créer des « maladies psychotiques », dont la schizophrénie, est une conséquence directe du « fantasme d’empoisonnement », qui découle de cette assimilation des « drogues » à des « toxiques » ; cette théorie établirait que la consommation de cannabis serait un agent causal essentiel de maintes schizophrénies, et que, finalement, toute schizophrénie survenant chez un jeune adulte consommateur de cannabis pourrait bien n’avoir d’existence… que du fait de cette consommation ; comme une proportion non négligeable des « jeunes » et particulièrement de certains groupes de jeunes (comme les groupe de noirs-américains particulièrement étudiés aux USA) consomment du cannabis, toute éclosion de schizophrénie serait alors une conséquence de cet usage.

Or, ceci n’étais pas le credo des psychiatres, depuis Moreau de Tour, jusqu’à une époque récente (milieu des années 90 ?).

Ceci n’est possible, à mon sens, que du fait de deux « arnaques » conceptuelles :
– L’une vient de la distorsion manichéenne du concept platonicien de pharmakon, qui nous indique que toute substance, y compris les substances psychotropes, peuvent se révéler, soit poison, soit médicament, concept que l’on retrouve également chez Paracelse : « Tout est poison, rien n’est poison, ce qui fait le poison c’est la dose. » ; ce qui est alors sous entendu, c’est que l’abus d’une substance « hallucinogène » (en l’occurrence le cannabis) peut rendre « fou ».

Plus proche de nous et venant pour ainsi dire « confirmer » ce modèle paracelsien, l’oeuvre de François Dagognet, médecin lui aussi et philosophe par surcroît! Soulignons quelques points de cet ouvrage rigoureux, d’une lecture passionnante « La Raison et les remèdes ». Et d’abord, de la suspicion, des réticences à propos du « remède causal », sourde attaque du postulat fondamental de l’objectivisme : «

Comment croire à l’existence d’une thérapeutique dite causale?… En pathologie qu’est-ce que la cause, sinon une éphémère illusion du savoir? un moment d’arrêt?… La maladie concerne un ensemble de facteurs, parfois en résonance ou en cycle les uns par rapport aux autres: il n’est pas possible de les concevoir linéairement, avec au départ, un antécédent déterminant. Il est rare que l’interruption ou l’extinction d’une cause entraîne l’arrêt d’un processus morbide.(7) » ; dans notre problématique, il s’agit pour nous de la même logique appliquée, non plus à une « thérapeutique causale », mais à son double inversé, « l’intoxication causale ».

L’autre, assimile la psychose, la schizophrénie, à une maladie purement secondaire à un dysfonctionnement neurobiologique, ce qui en vient à « nier la subjectivation des sensations venues de l’extérieur, le sens qui leur est donné en fonction de l’histoire du sujet, une histoire à laquelle sa vulnérabilité génétique éventuelle participe, mais qui ne se résume pas à cette vulnérabilité » (8)

Or, pour certains addictologues et psychiatres, il semble que le sujet consommateur de cannabis soit proprement « un intoxiqué », qui du fait de cette folie expérimentale liée aux effets psychodysleptiques, ou « hallucinogènes » du produit, va en « devenir fou ».

Et, si ce n’est pas le cas de tous les consommateurs, fi de la remise en question de la causalité, c’est que celui qui « devient fou », présentait une « vulnérabilité » ; il a transgressé le tabou, et la malédiction s’est abattu sur lui (d’autant plus s’il est jeune, « fragilisé » par des conditions familiales, ou socio-économiques péjoratives…).

Or, la schizophrénie, pour la plupart d’entre nous, psychiatres, est un processus mental complexe, multifactoriel, qui s’inscrit dans l’ensemble du développement de l’individu, qui peut effectivement « s’appuyer » sur le « substrat » biologique, qui sous–tend le vécu psychotique, mais dont un seul des paramètres, l’interaction entre des cannabinoïdes incorporés par la consommation de cannabis, et les récepteurs aux cannabinoïdes internes, ne peut en aucune manière résumer cet « être au monde » particulier.

L’exemple le plus récent et le plus abouti de cette thèse discutable est présenté dans l’article du « Laboratoire de Psychiatrie » / Département d’addictologie de Bordeaux (9), paru en septembre dernier :
« S’il semble établi que le cannabis puisse être la cause d’une psychose aiguë, son rôle est plus controversé dans l’étiologie des psychoses chroniques. Du fait de l’association fréquente entre usage de cannabis et schizophrénie, la question a été posée d’un lien de causalité entre l’exposition au cannabis comme facteur de risque et le développement d’une psychose »….et, après une méta-analyse sur 7 articles parmi les 60 référencés sur le sujet par MedLine : « Les données de la littérature montrent l’existence d’une association significative entre usage de cannabis et troubles psychotiques, notamment chez les sujets vulnérables. Le fait que tous les critères de causalité soient retrouvés, suggère que le cannabis est un facteur de risque indépendant pour l’apparition d’une psychose ou de symptômes psychotiques. En particulier, l’usage de cannabis pendant l’adolescence pourrait être un des stresseurs environnementaux qui interagissent en synergie avec une prédisposition génétique pour induire un trouble psychotique. Un dépistage précoce de la vulnérabilité à développer une psychose pourrait avoir des effets bénéfiques au niveau de la prévention des risques liés à l’usage de cannabis ».

 

Retour à la Théorie

C’est dans ce contexte, où la psychopathologie a pratiquement disparu, où avec la psychopharmacologie, l’épidémiologie se taille la part du lion, avec comme dernière trouvaille, les « méta-analyses » de l’évidence based medicine, qui ont pour fonction « d’éliminer, d’entrée de jeu, toutes les recherches portant sur des prises en charges globales, destinées à renouer les liens entre le sujet et la société et à l’aider, en développant ses capacités de symbolisation et en élaborant ses angoisses les plus profondes, à donner du sens à sa vie ». (10)

Il parait alors utile de reprendre la célèbre équation maintes fois confirmée de Claude Olievenstein selon laquelle la toxicomanie nécessite la rencontre de trois paramètres : un sujet, un produit et un moment socio-culturel (Olievenstein, 1982) (11), et de l’appliquer à la co-occurrence « usage de cannabis – trouble psychotique ». La démarche clinique, au cas par cas, nous permet de proposer des liens individuels entre les deux termes de cette occurrence, et, éventuellement, de pouvoir proposer des diversités de signification de cette co-occurrence.

C’est ainsi que se sont fondées les « théories » des classiques « intervenants en toxicomanie », reprenant les travaux cliniques des premiers psychanalystes à s’être intéressés à la question (Glover (1932), Rado (1933), Fenichel (1945), Sawitt (1963), puis, plus près de nous, Bergeret(12), le Poulichet(13), Ferbos et Magoudi(14), Geberovitch(15)….). (16)

Comme l’écrivent par exemple des spécialistes incontestables que sont les praticiens « historiques » de l’hôpital Marmottan(17), « si certaines études établissent une relation causale entre consommation importante de cannabis et schizophrénie, les hypothèses actuelles vont davantage dans le sens d’une inclination particulière des schizophrènes pour l’automédication. (…) Un cas particulier, mais non exceptionnel, est celui de patients psychotiques qui recourent à des substances excitantes, non seulement pour lutter contre leurs effets « négatifs » (passivité, apragmatisme…) mais aussi paradoxalement, pour leur pouvoir « délirogène » : en accentuant artificiellement leur capacité à délirer, certains sujets tentent peut-être de prendre du recul par rapport à une vision psychotique du monde. »

Ce « retour à la théorie ne signifie pas l’assujettissement sans critique à un dogme », mais, seul ce retour à la théorie, « en donnant cohérence à l’histoire du patient, permet d’envisager dans une filiation psychopathologique la diversité des symptômes et d’éviter l’inflation des comorbidités ». (18)

Notre clinique nous permet alors de penser la co-occurrence schizophrénie – usage de cannabis, autrement que dans un lien de causalité univoque, mais plus comme la rencontre entre une phénoménologie « psychotique », et une substance capable de mimer certains symptômes de la psychopathologie psychotique, la survenue d’une psychose chronique chez le sujet, restant « héritée » de son histoire infantile, la substance n’ayant joué qu’un rôle complètement accessoire spécifique à chaque individu (mimétisme adolescent en quête de l’appartenance à un groupe de pairs, recherche d’un « modificateur de conscience » pour contrer la survenue d’angoisses dissociatives, ou d’affects dépressifs, outil de découverte « psychonautique »…).

Toute cette recherche théorico-clinique, qui a fait la grandeur de l’histoire du « milieu spécialisé en toxicomanie », semble avoir aujourd’hui disparu ; en tout cas, elle ne se retrouve plus dans les revues internationales, et la vision scientiste anglo-saxone « colonise » rapidement, le champ médical et psychiatrique français, au détriment de cette « théorie à l’ancienne », une théorie qui constitue « un cadre « métanarratif », une fabrique d’hypothèses conçues comme autant de germes pour de nouveaux récits », et qui n’enferme pas le sujet dans une protocolisation des soins centrée sur l’abord de la folie comme liée à l’intoxication, « la fixation d’un certains nombres d’objectifs de soins au sein d’un programme » basée sur le sevrage comme nécessité morale et thérapeutique, « la reproduction stéréotypée d’un modèle », en l’occurrence celui de la prohibition, et de l’hygiénisme moral.

 

La constitution d’une « vérité officielle »

Cette nécessité légale et politique du sevrage, et de la prohibition du cannabis comme « poison », n’est que le « double inversé », la figure de Janus, de la science psychiatrique dominante actuelle bien analysée par Yves Buin : « le repérage réducteur du seul symptôme rabattu sur un sujet isolé et son traitement par une molécule ciblée est, nous l’avons vu, un rêve technocratique orienté par l’idéologie scientiste et aussi par l’entregent du lobby pharmaceutique »(19). Elle est en totale opposition avec la psychiatrie humaniste, qui est « au rendez-vous des puissances et des aberrations de l’esprit dans leur partage de la vie avec un corps. Non pas qu’elle travaille dans le dualisme. Dans un monde où tout se divise, clive et sépare, elle tend vers la réconciliation du sujet avec lui-même et en harmonie, sans s’annuler, avec l’altérité »(20).

Il est bien entendu que le plus inquiétant dans cette théorisation, c’est qu’elle situe bien la consommation de cannabis du coté de la déviance, de la transgression d’un interdit qui « irait de soi », d’une prophylaxie de la folie ; et bien sûr, une société sécuritaire et hygiéniste aura les moyens de limiter les exactions des déviants, « pour leur bien », et pour celui de la société, la cause du mal étant entendue, la prohibition plus ou moins « musclée » étant, bien évidemment, la mesure de protection la plus adaptée…

Si nous reprenons notre « recommandation » de l’Académie nationale de Pharmacie, là, nos pharmaciens, certainement plus adeptes du Champagne, du Chivas, ou du Bordeaux (tous liquides pourtant potentiellement neurotoxiques…), que de la marijuana, ne nous « amusent » plus du tout : le message est clair : non seulement, il s’agit de mettre « en garde contre l’amalgame trompeur, entre les activités pharmacologiques éventuelles ou potentielles de certains constituants du cannabis, et la banalisation de cette drogue », mais aussi de demander « une position claire des pouvoirs publics vis-à-vis des dangers du cannabis, confirmés ou démontrés récemment » : lorsqu’il est question d’être « entrepreneur de morale », la science se fait alors « triomphante » ; mais on attend toujours, comme je vais essayer de le montrer, la « démonstration ».

Mieux encore, il s’agit, nous exhortent nos valeureux pharmaciens (oubliant sans doute que le cannabis fut durant quelques millénaires, un produit « central » de la pharmacopée de leurs ancêtres), de « redoubler d’attention à l’égard des messages diffusés par les médias, et de mener une réflexion sur la pénalisation des discours permissifs à l’égard du cannabis ».

 

En relisant Moreau de Tour (1845)

C’est par une histoire encore plus ancienne que nous allons poursuivre, pour illustrer le conflit entre les conceptions neurotoxicologiques et statistiques invasives actuellement dominantes, et une théorie bio et psychodynamique « historique », du lien entre « cannabis et psychose ».

Cette histoire, depuis le XIXe siècle, fait une différence entre une conception globale du sujet, et la traduction d’un « défaut isolé de fabrication que la société, soumise à la pression des usagers, a décidé de protéger, ou qu’un accident de parcours devant être rapidement corrigé », le trouble étant bien « un trouble à l’ordre public et privé, qu’il s’agit de faire disparaître et dont le degré de disparition doit être mesuré »(21).

Lorsque Jacques Joseph Moreau de Tour, en 1845, publia « Du Haschich et de l’Aliénation mentale »(22), loin de lui l’idée de lier le cannabis et la « production de maladie », telle la schizophrénie.

Rappelons que Jacques-Joseph Moreau (1804-1884), est considéré, de même qu’Esquirol dont il fut l’élève, comme l’un des pères fondateurs de la Psychiatrie française.

A l’occasion d’un voyage de plusieurs années avec l’armée expéditionnaire Napoléonienne en Egypte (de1836 à 1840), il découvre les effets du chanvre indien (cannabis ou marijuana), et les observe sur le peuple égyptien.

Puis, il étudie les effets du cannabis sur lui-même : il est, avec Théophile Gautier, l’un des fondateurs du Club des Haschichins, où se retrouvaient, entre autres, Alexandre Dumas, Gérard de Nerval, Daumier, Honoré de Balzac, Charles Baudelaire ainsi que quelques aliénistes de renom, Esquirol, Ferrus ou Brierre de Boismont.(23).

Et c’est de ses observations sur les effets du cannabis, sur lui-même et sur ses patients, d’abord à l’Hôpital de Bicêtre, puis à la Salpetrière, qu’il s’appuie, pour théoriser sa conception de la folie, qu’il avance comme un délire identique au rêve.

Il devient alors le premier psychiatre à avoir pratiqué un travail systématique sur l’activité des drogues dans le système nerveux central et à avoir classé, analysé et enregistré ses observations.
Il décrit ainsi la remarquable efficacité du dawamesc (pâte à base de haschich utilisée dans les pays arabes), pour traiter les états maniaques aigus ; il montre par ailleurs la relative absence d’effets du cannabis sur les schizophrènes.

Il « essaya » effectivement le cannabis sur des centaines de patients, pensant que la production d’une « maladie artificielle », l’ivresse cannabinique, pouvait traiter une « maladie naturelle », la folie. Il s’agissait pour Moreau, lorsqu’il prescrivait du chanvre, de remplacer l’aliénation ordinaire par une autre forme de la même aliénation, qui exclurait la première. De remplacer la folie naturelle, par une folie iatrogène, qui serait, elle, gouvernable par le médecin.

La visée est avant tout thérapeutique, et le modèle qui opère chez Moreau est bien proche finalement de Jenner, où la vaccine, iatrogène, va se voir opposée à la variole naturelle(24) : « J’avais vu dans le hachisch, ou plutôt dans son action sur les facultés morales, un moyen puissant, unique, d’exploration en matière de pathogénie mentale ; je m’étais persuadé que par elle on devait pouvoir être initié aux mystères de l’aliénation, remonter à la source cachée de ces désordres si nombreux, si variés, si étranges qu’on a l’habitude de designer sous le nom collectif de folie ».(25)

Il connaissait aussi les descriptions, qui existaient déjà, de troubles psychiques en lien avec la consommation de cannabis : il décrivait déjà en 1845 « des réactions psychotiques aiguës, durant généralement quelques heures, mais occasionnellement jusqu’à une semaine ». Pour Sami-Ali, ces « bouffées délirantes aiguës » secondaires à des abus massifs de cannabis, ne concernaient qu’1 % des admissions pour « psychose aiguë » dans les hôpitaux psychiatriques du Caire. (26)

La notion de dangerosité et de violence, souvent accolée, en référence à cette légende, aux « ivresses cannabiques », est totalement infirmée en pratique ; Sami-Ali, par exemple note « l’absence totale de crimes à caractère violent commis sous l’influence de la drogue. Rien d’étonnant à ce que le haschisch soit tenu pour un excellent antidote contre l’agressivité… ». (27)

L’utilisation que Moreau faisait du cannabis concernait essentiellement des schizophrènes, qui, d’après les documents de l’époque, n’allaient ni plus mal, ni mieux qu’avant. Le principal effet de ces tentatives thérapeutiques fut de produire du savoir sur les « hallucinations », et de conduire à la naissance des « psychose models », qui firent à nouveau recette cent ans plus tard, avec l’arrivée du LSD. Aucune indication psychiatrique dans le cadre de la psychose ne fut vraiment démontrée à cette époque.

Finalement, il se rendit compte que les effets du cannabis n’aggravaient pas l’état de ses patients, mais que l’on ne pouvait considérer le cannabis comme un médicament efficace contre la folie. Le principal résultat de l’expérience de Moreau de Tours, c’est donc un travail théorique considérable et novateur sur la clinique de la psychose.

« Par son mode d’action sur les facultés mentales, le hachisch laisse à celui qui se soumet à son étrange influence le pouvoir d’étudier sur lui-même les désordres moraux qui caractérisent la folie, ou du moins les principales modifications intellectuelles qui sont le point de départ de tous les genres d’aliénation mentale. C’est qu’en frappant, en désorganisant les divers pouvoirs intellectuels, il en est un qu’il n’atteint pas, qu’il laisse subsister au milieu des troubles les plus alarmants, c’est la conscience de soi-même, le sentiment intime de son individualité. Quelque incohérentes que soient vos idées, devenues le jouet des associations les plus bizarres, les plus étranges, quelque profondément modifiés que soient vos affections, vos instincts, égaré que vous êtes par des illusions et des hallucinations de toute espèce au milieu d’un monde fantastique, tel que celui dans lequel vous conduisent parfois vos rêves les plus désordonnés… vous restez maître de vous-même. Placé en dehors de ses atteintes, le moi domine et juge les désordres que l’agent perturbateur provoque dans les régions inférieures de l’intelligence. (…)
Au fur et à mesure que, sous l’influence du hachisch, se développe le fait psychique que je viens de signaler, une profonde modification s’opère dans tout l’être pensant. Il survient insensiblement, à votre insu et en dépit de tous vos efforts pour n’être pas pris au dépourvu, il survient, dis-je, un véritable état de rêve, mais de rêve sans sommeil ! car le sommeil et la veille sont, alors, tellement confondus, qu’on me passe le mot, amalgamés ensemble, que la conscience la mieux éveillée, la plus clairvoyante, ne peut faire entre ces deux états aucune distinction non plus qu’entre les diverses opérations de l’esprit qui tiennent exclusivement à l’une ou à l’autre.». (28)

Moreau de Tour nous décrit ainsi avec une acuité clinique incontestable les effets fonctionnels cérébraux auxquels on peut assister du fait de l’usage de cannabis, dans une clinique expérientielle de modification labile de l’être au monde, bien loin du fantasme d’une modification lésionnelle du système nerveux, ou de l’économie psychique à long terme.

De nos jours, les psychiatres ont bien évidemment également constaté que des états psychotiques coexistaient avec une consommation de drogues, et particulièrement avec celle des deux psychotropes les plus utilisés, l’alcool et le cannabis.

Les démences alcooliques, elles, sont reconnues de longue date, elles s’accompagnent parfois d’états psychotiques, de délires chroniques, d’hallucinoses (outre les extraordinaires delirium tremens du sevrage). Le substrat neurobiologique de ces états est avéré ; l’enveloppe des nerfs (la gaine de myéline) est réellement attaquée, l’alcool est un véritable « toxique » du système nerveux, au même titre que les solvants, substances benzéniques ou hydrocarbures… Rien de semblable avec le cannabis.

 

« Psychose et cannabis », une association ancienne

Qu’en est-il alors réellement du lien entre le cannabis et les états psychotiques ?

Cette question est rémanente dans les champs médico-psychiatrique et politico-social, depuis l’interdiction progressive du cannabis au début du 20° siècle, et plus encore depuis les années 60/70 qui ont vu le classement du cannabis sur la Liste des Stupéfiant. Une criminalisation mondiale de la consommation et du commerce du cannabis a suivi cette interdiction internationale, s’appuyant sur la prétendue « dangerosité » du cannabis. (29)

En effet, derrière ce qui est devenu, au 21e siècle, une sorte d’évidence sociale, l’interdiction et la pénalisation de l’usage, se dit une soi-disant « évidence médicale », le cannabis serait dangereux pour la santé.

Qu’en est-il alors réellement de cette fameuse « toxicité » du cannabis ?

Sur le plan physiologique l’affaire est entendue, les données scientifiques sont unanimes et concordantes, les usages thérapeutiques ancestraux et les progrès les plus récents de neurobiologie vont dans le même sens : aucune toxicité du cannabis n’a pu être démontrée sur le plan physiologique, en ce qui concerne, les effets des cannabinoïdes qui se fixent sur les récepteurs neuronaux aux anandamides, (des analogues endogènes des cannabinoïdes), le THC (delta1-9 tétra-hydro-cannabinol) et ses « cousins », cannabinol, cannabidiol…

On peut même mettre en évidence un véritable effet protecteur des neurones lors de traumatismes cérébraux, et une « amélioration » de la plasticité neuronale, liés à l’action de certains cannabinoïdes, dont le cannabidiol. (30)

Les études évoquant une « toxicité neuronale » sont régulièrement contredites par d’autres études ; citons par exemple les travaux de neuroradiologie de DeLisi et coll.(31), professeur de psychiatrie au Center for Advanced Brain Imaging de New York, qui ne montrent aucun changement structurel des zones cérébrales, associé à l’usage de cannabis chez les adolescents, ou les travaux de Susan Tapert et coll.(32), du Département de Psychiatrie de l’Université de Californie, qui montrent même une « antagonisation » des altérations de la substance blanche cérébrale chez les adolescents usagers abusifs d’alcool, qui consomment également du cannabis.

Ce qui reste dangereux, bien sûr, ce sont les dépôts toxiques de la combustion de l’herbe au niveau pulmonaire, comme pour le tabac. D’où des usages par chauffage dans des pipes spéciales, sans combustion, ou l’ancienne technique du narguilé, qui diminue ce risque grâce au passage des fumées dans de l’eau, ainsi que les formes orales de synthèse, qui commencent à être diffusées médicalement dans plusieurs pays occidentaux (forme moderne des « confitures » (dawamesc), ou des « gâteaux » (space cake) de l’ancien temps).

Sur le plan psychologique, ou psychiatrique, les choses sont plus confuses : il persiste dans l’esprit de beaucoup de psychiatres la croyance en un risque sérieux de « folie cannabinique », ce que reprennent avec délectation les hommes politiques prohibitionnistes et les mères de familles inquiètes pour leur progéniture – ceux qui ont un intérêt personnel à « conserver l’emprise sur leurs objets ».

D’où provient donc cette notion discutable, cette construction intellectuelle récente ?
« Les effets psychologiques du cannabis sont connus depuis plus de 3000 ans et, déjà au VIIIème siècle avant JC, les Egyptiens en punissaient l’abus par l’arrachage de quelques dents… »(33).

« En Inde en 1838, O’Shaughnessy évoque des états cataleptiques chez certains sujets, et quelques psychiatres évoquent dès le 19e siècle les états d’intoxication aigus ». Ces réactions dépendent « de la dose consommée et incluent des éléments confusionnels, des idées délirantes, des hallucinations, un sentiment de dépersonnalisation et de déréalisation » ; or, il s’agit là simplement de la description de « l’ivresse cannabinique ».

Mais, certains allaient déjà plus loin dans le sens d’un lien de causalité entre « cannabis et folie ». Ainsi le rapport de la Commission sur les Chanvres Indiens britanniques concluait en 1893 : « l’usage modéré ne produit aucun effet sur l’esprit, mais il en est différemment de l’usage excessif. Cela révèle et aggrave l’instabilité morale : d’autant plus s’il existe une prédisposition héréditaire à la folie combinée avec une dégénérescence morale ».

On note là, déjà, que ce lien de causalité s’appuyait sur des conceptions neuro-psychiatriques très « organiscistes ».

« Par bien des aspects, la réflexion en resta là jusque dans les années 30 avec la Prohibition (de l’alcool) aux Etats-Unis, qui vit s’accroître la consommation de cannabis. A cette période, le Comité Principal sur la Marijuana, en 1944, ne retrouve aucun lien l’usage de cannabis et la criminalité ou les questions de santé mentale, et enterre la question pendant près de trente ans… Il faut attendre les années 70, avec Talbott & Teagues (1969) (34), Negrete (1973) (35), Chopra & Smith (1974) (36), pour que la question des syndromes psychiatriques liés au cannabis soient à nouveau réellement discutée : états confusionnels aigus avec symptômes psychotiques et l’hypothèse d’une forme chronique de psychose. »(37)

 

« Cannabis et psychose », une relation actualisée par les méta-analyses

Afin d’explorer en profondeur la problématique en jeu (cannabis et psychose), nous allons nous référer aux propositions de Pierre Marie(39), lui-même citant Johns(38), qui propose dans son article du British Journal of Psychiatry, de distinguer trois catégories dans les effets psychopathologiques du cannabis :
• « Les réponses psychopathologiques qui seraient directement liées à sa consommation : anxiété, dépression, symptômes psychotiques
• les effets du cannabis sur une pathologie psychiatrique pré-existante où en tant que facteur de risque associé à une autre maladie mentale
• les phénomènes de dépendance et/ou les effets de sevrage

Il reprend certains des éléments de la littérature sur la question de la validité du concept de psychose cannabique en rappelant que l’utilisation même du terme prête à confusion dans de nombreux travaux et met en cause leur validité, séparant difficilement les épisodes psychotiques aigus théoriquement liés au cannabis de l’apparition de symptômes psychotiques au cours d’une intoxication aiguë, des tableaux psychotiques chroniques qui lui seraient aussi imputables.

Du point de vue théorique, les liens entre cannabis et psychose, et la question de la psychose cannabique pourraient être rassemblés autour de 5 axes de discussion :
• la pharmaco-psychose cannabique : psychose toxique aiguë / organique avec des éléments confusionnels liés à une consommation rapide de quantités importantes de cannabis
• l’existence d’épisodes psychotiques aigus / troubles schizophréniformes liés à la consommation de cannabis et distincts des psychoses toxiques par l’absence du cortège somatique qui les accompagne
• la genèse au cours des intoxications chroniques d’une psychose organique dont le tableau séquellaire après le sevrage aboutirait à un état déficitaire parfois appelé le Syndrome amotivationnel.
• la responsabilité du cannabis comme facteur de risque de troubles psychopathologiques sévères comme la schizophrénie. »

Une autre façon de poser le problème nous est proposée par deux auteurs australiens dans une note de recherche récente pour le Parlement australien (40) :
• l’usage de cannabis peut causer des problèmes de santé mentale (the « causal hypothesis ») ; deux scénarios sont alors possibles :
a) le cannabis pourrait causer des « psychotic disorders » (une « psychose cannabique » spécifique), qui ne serait pas survenue en l’absence de cannabis ;
b) l’usage de cannabis pourrait avoir précipité la survenue d’une schizophrénie, ou exacerbé ses symptômes.
• L’usage de cannabis pourrait exacerber les symptômes de psychose.
• L’usage de cannabis est la conséquence de problèmes de santé mentale (l’hypothèse de « l’auto-médication »)
• L’usage de cannabis et les problèmes de santé mentale peuvent coïncider, en tant que « résultantes de variables communes »(41)

Les trois premières hypothèses sont soutenues par des relations plus ou moins directes entre « usage de cannabis » et « santé mentale », et donnent lieu à des résultats de recherche. Mais la 4e hypothèse est « difficile pour les chercheurs à explorer, car de nombreuses variables coexistent dans les deux cas ». En fait, il n’existe pas de travail de recherche consistant sur cette dernière hypothèse, même si la clinique nous oriente vers cette dernière occurrence…

En tout cas, ce qui reste « incontournable » dans beaucoup de publications française, se sont les confusions de traduction : ainsi, dans le rapport de l’Académie de Médecine américain (1999), « The scientific litterature indicates general agreement that marijuana use can precipitate schizophrenic episodes but not that the use can cause the underlaying psychotic disorder » : il faut noter ici que l’expression « schizophrenic episode » peut se traduire, dans la nosographie française par « bouffée délirante aiguë », cette notion n’existant pas dans la nosographie américaine, où le concept « schizophrenic » est d’utilisation beaucoup plus large que dans la littérature psychiatrique européenne ; un certain nombre de « glissements sémantiques » fondent alors les « glissements nosographiques », et il nous semble que nombre de « commentateurs » des travaux anglo-saxons confondent « schizophrénic episode », c’est à dire « délires aiguës » ou « bouffées délirantes aiguës », avec schizophrénie, ou psychose…

Dans la plupart des écrits récents de langue française (entre autres, le Rapport de l’INSERM « Cannabis : quels effets sur le comportement et la Santé ? » (novembre 2001), et les articles ou ouvrages publiés par l’équipe de Xavier Laqueille, A. Dervaux et coll. à Sainte Anne, de Michel Reynaud(42), O. Pham, A. Benyamina, L. Karila… à Paul Brousse – Villejuif…), les discours sont globalement « dans la veine » de la tradition prohibitionniste, en adéquation avec les alertes de l’Académie de Pharmacie, et ils établissent sans trop de questionnement « la dangerosité » globale du cannabis, à l’unissons des discours moralistes, voir culpabilisants des politiques. Ils servent à ces derniers leurs arguments de campagne, sans scrupule, tout en s’appuyant sur (une partie de) la littérature anglo-saxone.

A l’inverse, ce qui est frappant dans la littérature scientifique de langue anglaise, c’est l’emploi quasi systématique du conditionnel (« cannabis use may… »), conditionnel qui se transforme en affirmation systématique dans les recensions qui sont faites dans la littérature française des résultats hypothétiques de ces travaux anglo-saxons.

Alors, que dit réellement la science ? Prenons pour exemple le très récent article de Hall et Degenhaerdt, deux célèbres et sérieux « spécialistes » du cannabis(43), dans le numéro d’octobre 2009 du Lancet(44) :
Poor cognitive functioning is a risk factor for regular cannabis use; however, whether chronic cannabis use impairs cognitive performance is not clear (45). Studies that matched users and non-users on estimated intellectual function before cannabis use17 or on cognitive performance assessed before cannabis use have found subtle cognitive impairments in frequent and long-term cannabis users(46).

Deficits in verbal learning, memory, and attention are most consistently reported in heavy cannabis users, but these have been variously related to duration and frequency of use, and cumulative dose of THC(47). Debate continues about whether these deficits are caused by acute drug effects, residual drug effects, or the effects of cumulative THC exposure(48).

Whether cognitive function recovers after cessation of cannabis use is also unclear. Solowij(49) showed partial recovery after 2 years of abstinence but brain event-related potential measures still showed impaired information processing that was correlated with years of use.

Bolla and colleagues(50) found indications of persistent dose-related impairment in neurocognitive performance after 28 days of abstinence in heavy young users (5 years of use) but Pope and colleagues(51) reported recovery after 28 days’ abstinence.

Acute and chronic cannabis use is associated with changes in brain function that can be detected by cerebral blood flow, positron emission tomography (PET), and electroencephalography (EEG). Block and colleagues(52), for example, showed that, after 26 h of abstinence, regular users had lower resting brain blood flow than had controls in the posterior cerebellum and prefrontal cortex. Functional imaging studies66 have shown less activity in brain regions involved in memory and attention in chronic cannabis users than in non-users, even after 28 days of abstinence(53).

Changes in cannabinoid receptor activity in the hippocampus, prefrontal cortex, and cerebellum have been seen in chronic cannabis users.

Yücel and colleagues(54) reported reduced volumes of the hippocampus and the amygdala in 15 long-term users who had smoked five or more joints a day for 10 or more years. These reductions increased with the duration of use. More functional brain imaging studies on larger samples of long-term users are needed to see if cognitive impairments in long-term users are correlated with structural changes in brain areas implicated in memory and emotion.

Cannabis use is associated with poor educational attainment(55). However, whether cannabis use is a contributory cause of poor school performance, is a consequence of poor educational attainment, or poor educational attainment is the result of common factors is unclear. The first two possibilities could both be true if poor school performance increased cannabis use, which further impaired school performance.

Longitudinal studies have shown a relation between cannabis use in young individuals before the age of 15 years and early school leaving that has persisted after adjustment for confounders(56). The most plausible hypothesis is that impaired educational outcomes are attributable to a combination of higher pre-existing risk, effects of regular cannabis use on cognitive performance, increased affiliation with peers who reject school, and a strong desire to make an early transition into adulthood(57). Adolescent cannabis users who leave school early are more likely to be unemployed and depend on social welfare, and are less satisfied with their lives and their relationships than are peers in their late 20s(58).

Cannabis use has been associated with increased risk of psychiatric disorders. A 15-year follow-up of 50 465 Swedish male conscripts reported that those who had tried cannabis by age 18 years were 24 times more likely to be diagnosed with schizophrenia than those who had not(59). Risk increased with the frequency of cannabis use and remained significant after statistical adjustment for a few confounding variables. Those who had used cannabis ten or more times by 18 years of age were 2·3 times more likely to be diagnosed with schizophrenia than those who had not. Zammit and colleagues(60) reported a 27-year follow-up of the same cohort. These investigators also showed a dose–response relation between frequency of cannabis use in individuals aged 18 years and risk of schizophrenia during the follow-up, and this association persisted after controlling for the effects of other confounding factors. They estimated that 13% of schizophrenia cases could be averted if cannabis use was prevented.

These findings have been supported by longitudinal studies in the Netherlands(61), Germany(62), and New Zealand(63); all of which indicated that the association persisted after adjustment for confounders.

A meta-analysis of these longitudinal studies reported a pooled OR of 1·4 (95% CI 1·20–1·65) of psychotic symptoms or psychotic disorders in those who had ever used cannabis(64). Risk of psychotic symptoms or disorders was higher in regular users than in non-users (OR 2·09, 95% CI 1·54–2·84).Reverse causation was addressed in most of these studies by exclusion of cases reporting psychotic symptoms at baseline or by statistically adjusting for pre-existing psychotic symptoms.

The common causal hypothesis was difficult to exclude because the association between cannabis use and psychosis was attenuated after statistical adjustment for potential confounders, and no study assessed all major confounders.

Evidence is conflicting on whether incidence of schizophrenia increases as cannabis use increases in young adults, as would be expected if the association was causal.

An Australian study(65) did not show clear evidence of increased psychosis incidence despite steep increases in cannabis use during the 1980s and 1990s. A similar study(66) suggested that it was too early to see any increased incidence in England and Wales in the 1990s.

A British(67) and a Swiss study(68) reported increases in the incidence of psychoses in recent birth cohorts but another British study(69) failed to do so.

Non-consistent and weak associations have been reported between cannabis use and depression.

Fergusson and Horwood(70) for example, found a dose–response relation between frequency of cannabis use in individuals aged 16 years and depressive disorder, but the association was not significant after adjusting for confounders. A meta-analysis of these studies reported an association between cannabis use and depressive disorders (OR 1·49, 95% CI 1·15–1·94). The investigators argued, however, that these studies had not controlled for confounders and had not convincingly excluded the possibility that depressed young people are more likely to use cannabis.

Several case–control studies have shown a relation between cannabis use and suicide in adolescents, but whether this is causal is unclear. For example, a New Zealand case–control study(71) of serious suicide attempts resulting in hospitalisation found that 16% of the 302 people attempting suicide met criteria for cannabis dependence or abuse compared with 2% of the 1028 community controls. Controlling for social disadvantage, depression, and alcohol dependence substantially reduced, but did not eliminate, the association (OR 2). The evidence from prospective studies is mixed.

Patton and colleagues(73) reported that cannabis was associated with self-harmful behaviour in women but not in men, after controlling for depression and alcohol use.

A meta-analysis(74) reported that these studies were too heterogeneous to estimate risk, and few had excluded reverse causation or properly controlled for confounding.

Depuis une quinzaine d’années, la simple juxtaposition de l’effective production d’états modifiés de conscience (ce qui est justement l’un des intérêts de la substance), et de pathologies psychotiques chroniques permettrait donc à certains (pour quelles raisons inconscientes ?) d’affirmer un lien de causalité : le cannabis rend fou ; la preuve, beaucoup de fous ont consommé ou consomment encore du cannabis !

L’enquête d’Andreassen et coll. (1987), généralement considérée comme une référence en la matière, souffre d’imprécisions méthodologiques majeures(75), qui la rangent au rayon des instruments de propagande(76) sans grand intérêt :
• l’étude documente la consommation de cannabis au moment de la conscription, mais pas au cours des 15 années suivantes ;
• l’étude ne contrôle pas l’influence d’autres substances psychoactives, comme les amphétamines, lesquelles peuvent induire des psychoses similaires à la schizophrénie paranoïde ; la réalité et les conséquences d’une polytoxicomanie n’ont pas été envisagées
• établis en consultant des dossiers médicaux, les diagnostics de schizophrénie, établis d’après l’ICD 8 (Classification Mondiale des Maladies, 8° édition), n’ont pas fait l’objet de confirmation, et ont pu avoir été confondus avec des psychoses induites (psychoses « toxiques » ou bouffée délirante polymorphe transitoire);
• l’étude ne documente pas les traits de personnalité antérieurs à la conscription. Elle n’exclut donc pas la possibilité que des traits prémorbides schizotypiques puissent avoir incité certains sujets à consommer du cannabis en guise d’automédication.
• les auteurs ne peuvent établir de lien de causalité indiscutable entre la consommation de cannabis et la prévalence de la pathologie mentale ;
• cannabisme et schizophrénie peuvent survenir sur une personnalité prédisposée commune ;
• Les antécédents de consommation de cannabis sont décrits d’après les réponses du sujet lui-même à un interrogatoire type, sans vérification de la véracité de ses dires.

Outre les publications de Zammit, Van Os, Henquet et Arseneault, nombreuses sont les méta-analyses(77) de ce type, qui fleurissent dans les publications médicales depuis une vingtaine d’années, et qui n’ont pour objet que cela : mesurer la croissance des schizophrénies à l’aune de la consommation de cannabis, et la précocité de survenue lors d’une consommation infantile, par des études « pseudo-épidémiologiques », faisant fi de la véritable épidémiologie, qui montre l’absence d’augmentation à l’échelon de la population, aussi bien dans les pays de forte consommation, que dans les pays occidentaux, alors que la consommation « large » du cannabis, date de la fin des années 70.

On voit bien dans cet article de Hall et Dengenhardt, que la réflexion est plus « retenue », et que les fait « assénés » par certains scientistes, abondamment repris dans les média, comme des vérités incontournables, sont beaucoup plus discutables, et absolument pas de l’ordre de la « vérité démontrée ».

C’est également le cas dans l’étude de Fergusson et coll.(78), celle de Semple et coll. (79), celle de Ferdinand et coll.(80),et, même dans la récente méta-analyse de Moore, Zammit et collègues(81), les hypothèses ne sont pas assenées comme des évidences.

Les revues de « vulgarisation » médicale sont à l’unisson « Le cannabis est la drogue la plus utilisée chez les schizophrènes, et sa perception courante comme une « drogue douce » est particulièrement fallacieuse, vu la gravité importante de ses RAVAGES ( !) » (JIM, repris par Univadis, sur Internet).
Il importe avant tout, devant toute nouvelle publication, d’interroger la méthodologie de l’étude, l’échantillon étudié, et la pertinence des associations et des interprétations… et l’on se rend compte, face à tous ces travaux, que l’éditorial du Lancet(82), en 1995, qui affirmait « fumer du cannabis, même à long terme, n’est pas nuisible pour la santé du plus grand nombre », reste une affirmation toujours aussi valide, scientifiquement, et cliniquement parlant.

En particulier, la plupart des auteurs s’accordent actuellement pour dénoncer la validité épistémologique du concept de « psychose cannabinique » ou de « schizophrénie toxico-induite »(83) ; de même, les données recueillies dans la plupart des études longitudinales « ne permettent pas de conclure que le cannabis accroît, comme tel, le risque de développer la schizophrénie ». Il en est de même pour le « syndrome amotivationnel », qui n’a aucune validité clinique et psychopathologique sérieuse, s’il est imputé aux uniques effets du cannabis.

Certaines de ces études suggèrent uniquement :
• Qu’à long terme, le cannabis pourrait agir dans certains cas comme un déclencheur (« trigger ») de psychoses latentes chez des consommateurs présentant une vulnérabilité psychotique (Hambrecht et Hafner, 2000(84)).
• Qu’une psychose schizophrénique établie peut, suivant les cas, s’aggraver (augmentation du risque de rechute, du nombre d’hospitalisation, de la non-compliance au traitement…)(85), ou s’améliorer, sur le plan de certains symptômes(86) (cf plus loin, en particulier l’action du cannabidiol).
Cela rejoint des études qui prouvent qu’il n’y a pas de prévalence supérieure des troubles psychiques (en particulier les schizophrénies) dans les zones de consommation extensives et traditionnelles (Maroc, Moyen-Orient…) ou dans les communautés érigeant la consommation en mode de vie (rastas de Jamaïque et d’ailleurs, ou brahmanes en Inde).

D’autre part, le nombre de schizophrénie n’augmente pas malgré l’augmentation massive de la consommation, depuis un demi siècle, hors des zones traditionnelles de consommation : « compte tenu de la consommation de cannabis en très grande et constante augmentation depuis 20 ans, le nombre de schizophrénies caractérisées aurait dû s’accroître de manière statistiquement mesurable, même en réduisant les consommateurs excessifs à 3 % »(87) de l’ensemble des consommateurs. « Cela ne semble pas être le cas et l’incidence de la maladie reste très similaire dans les pays où, pour des raisons culturelles, le cannabis est consommé couramment et ceux où il ne l’est pas ».

L’étude de Jablensky et coll. remarque ainsi la stabilité de l’incidence de la schizophrénie dans des cultures très disparates quant à l’usage et la consommation de cannabis(88).

Nous avons vu que Hall et Degenhardt, sur cette question précise, sont plus modérés, mais vont globalement dans le même sens, en ce qui concerne leurs propres études statistiques(89) : « l’absence du moindre changement dans l’incidence de la schizophrénie durant les trois dernières décennies, durant lesquelles, en Australie, l’usage de cannabis a augmenté, n’est pas en accord avec l’hypothèse que l’usage de cannabis puisse produire des psychoses qui ne seraient pas survenues en son absence ».

En rapportant en Australie une hausse dramatique de la consommation de cannabis depuis les 30 dernières années et un déclin substantiel de l’âge d’initiation de son usage, Degenhardt avait voulu tester les quatre hypothèses suivantes dans ce pays(90) :
• Le cannabis cause la psychose
• Le cannabis précipite la psychose chez les personnes vulnérables
• Le cannabis exacerbe la psychose et aggrave le pronostic de cette maladie
• Les sujets atteints de schizophrénie ont plus tendance à devenir des usagers réguliers de cannabis.

Tout en constatant que l’usage du cannabis est plus fréquent chez les patients schizophrènes que dans la population générale, ces chercheurs concluent que le cannabis n’est pas relié de manière causale à l’incidence de schizophrénie, mais qu’il peut précipiter les désordres chez les individus vulnérables au développement de la psychose et qu’il peut aggraver l’évolution de la maladie chez les personnes déjà atteintes.

Que dire devant ces résultats quelque peu contradictoires ? À l’heure actuelle, alors qu’un consensus existe quant aux effets du cannabis sur une psychose déjà existante (amélioration, modification ou aggravation de certains symptômes; rechutes et hospitalisations plus fréquentes), la controverse demeure pour ce qui est du rôle étiologique du cannabis dans la schizophrénie et dans les psychoses en général. Il est prématuré de tirer des conclusions sur le lien de causalité entre le cannabis et la psychose chronique. Des recherches complémentaires sont nécessaires avant d’élucider cette question.

 

« Cannabis et psychose », le retour de l’héréditarisme

L’affaire statistique, elle, est donc entendue : une proportion plus importante que dans la population générale, de sujets psychotiques fument du cannabis (environ 6 fois plus que la population générale(91)), et d’une manière générale consomment des psychotropes, par eux même ou sur injonction soignante ! si, si je vous l’assure, il y a plus de psychotiques qui consomment des neuroleptiques que la population générale.

Eh oui, tout simplement les sujets psychotiques sont en grande souffrance, ils sont soumis à des angoisses de morcellement ou de dépersonnalisation parfois terrifiantes, et leurs mécanismes de défense psychiques, délires, hallucinations, déni, altérations relationnelles, projections, les confrontent également à des expériences psychiques inquiétantes, des états modifiés de conscience déstabilisants.

Qu’ils recherchent des calmants, des médicaments, n’est pas étonnant. Même à la phase prodromique, ces sujets peuvent soit tenter une auto-médication (92), soit leur usage de cannabis n’a pas pour fonction de réduire leurs symptômes, mais d’acquérir un sentiment subjectif de bien être (« soulager leur anhédonie ») (93)). Les travaux d’un psychanalyste américain, E.J. Khantzian(94), vont dans ce sens.

Mais, sur ce sujet, là encore, on pensait que « l’héréditarisme battait de l’aile. On attribuait moins les désordres mentaux à une tare génétique, héritage laïc du péché originel, et plus à une réaction face aux facteurs d’environnement sociaux ou familiaux »

« L’attention formidable accordée à la dépression aujourd’hui et la manière de mettre en forme cette pathologie en psychiatrie permettent de cerner quelques aspects de l’individualité contemporaine. Pour cela il est nécessaire de croiser l’histoire du raisonnement psychiatrique (discussions sur la définition de la pathologie, sur le diagnostic et les stratégies thérapeutiques) et celle des changements normatifs. L’intérêt de la dépression est qu’elle se trouve dans une situation paradoxale : alors que l’épidémiologie psychiatrique estime depuis 1970 qu’elle est le trouble mental le plus répandu au monde, les psychiatres considèrent, hier comme aujourd’hui, qu’elle est impossible à définir. On sait que les questions de classifications et de diagnostic sont des plus délicates en psychiatrie, mais le problème serait encore pire avec la dépression, les dépressions ou les états dépressifs. Ici le chaos règne. La psychiatrie n’a pas de théorie de la dépression, mais en revanche elle en a un usage des plus plastiques ».(95)

« Si les polémiques sur les psychoses occupent le devant de la scène aux alentours de 1970, elles se polarisent aujourd’hui sur la dépression à travers deux thèmes : l’incertitude affectant son statut de pathologie et la critique de sa prise en charge pharmacothérapeutique. Les soupçons qui s’exercent sur les molécules ont engendré la crainte d’une réduction de l’humain à un fait neurophysiologique manipulable à merci par les techniques biologiques et pharmacologiques. Nous avons désormais affaire à une incertitude généralisée entre « se soigner » et « se droguer ».(96)

Nous pensons, comme Ehrenberg, que cette notion du cannabis comme « inducteur de schizophrénie » relève d’un « naturalisme réductionniste qui n’est pas une abstraction, mais une question pratique, donc politique : pensons aux expertises collectives de l’INSERM sur la santé mentale qui participent de l’ancrage de ce naturalisme dans la vie sociale. Elles ont déchaîné nos passions nationales : crise du sujet, nouvelles formes de domination des classes populaires, modèle anglo-saxon, etc. ». Ainsi, l’invalidation de l’autonomie individuelle est souvent formulée en termes de souffrances psychiques, mais aussi de déviance ».(97)

Or, il s’agit d’une chimère épistémologique, voire idéologique, au même titre que les déclarations de Sarkozy pendant la campagne présidentielle sur le caractère inné de la pédophilie : il s’agit de la même fascination que le naturalisme exerce sur la société « désenchantée ».

« La souffrance psychique n’est donc plus une des manifestations possibles d’une problématique ontologique commune à tous les êtres humains. Elle n’est que la traduction d’un défaut isolé de fabrication que la société, soumise à la pression des usagers, a décidé de protéger, ou qu’un incident de parcours devant être rapidement corrigé. Le trouble est bien un trouble à l’ordre public et privé qu’il s’agit de faire disparaître et dont le degrés de disparition peut et doit être mesuré »(98).

 

Où les canadiens gardent une position officielle mesurée

Pourtant dans ce concert scientifique inquiétant un récent rapport sénatorial de nos amis canadiens se signale par son ton résolument à contre courant… Dans le rapport canadien intitulé « Le cannabis : positions pour un régime de politique publique pour le Canada »(99), la conclusion du chapitre 7 (« Le cannabis : effets et conséquences », p.176) est limpide :

« Au total, sur la base de l’ensemble des données de recherche et des témoignages qu’il a entendus concernant les effets et conséquences de la consommation de cannabis, le Comité conclut que l’état des connaissances permet de penser que, pour la vaste majorité des usagers récréatifs, la consommation de cannabis ne présente pas de conséquence néfaste sur leur santé physique, psychologiques ou sociale à court ou à long terme ».
• Néanmoins, le Comité est d’avis que, pour les personnes de plus de 16 ans, l’usage à risque s’inscrit dans une fourchette entre 0,1 et 1 gramme par jour sur une période prolongée et qu’au delà, il s’agit d’un usage excessif qui peut entraîner des conséquences négatives sur la santé physique, psychologique ou sociale des usagers.
• Ce Comité est d’avis qu’en raison de ses effets potentiels sur le système cannabinoïdes endogène et les fonctions cognitives et psychosociales, toute consommation chez les jeunes de moins de 16 ans est une consommation à risque.
• Chez les jeunes entre 16 et 18 ans, est consommation excessive une consommation même non quotidienne mais qui est faite le matin, seul ou pendant les activités scolaires. »

Quant aux conséquences de l’usage excessif :
• « L’usage excessif de cannabis fumé peut avoir certaines conséquences négatives sur la santé physique, notamment sur le système respiratoire (bronchites chroniques, cancer des voies aériennes supérieures).
• L’usage excessif de cannabis peut entraîner des conséquences psychologiques négatives sur les usagers, notamment des difficultés de concentration et d’apprentissage, ou, dans des cas rares et chez des personnes déjà prédisposées, déclencher des épisodes psychotiques ou schizophréniques.
• L’usage excessif de cannabis peut entraîner des conséquences sur la santé sociale des usagers, notamment leur insertion professionnelles et sociale et leur capacité à accomplir des tâches.
• L’usage excessif de cannabis peut entraîner une dépendance qui demandera un traitement ; toutefois, la dépendance induite par le cannabis est moins sévère et moins fréquente que la dépendance à d’autres substances psychoactives y compris l’alcool et le tabac.

Dans cette dernière occurrence, il est évident pour le clinicien auteur de cet article, qu’il s’agit en fait, à chacune de ces prises en charge sanitaires, initiées pour « sevrage d’une dépendance à une consommation excessive de cannabis », de la prise en charge et du traitement d’un trouble addictif, ou tout simplement, le traitement des troubles psychopathologiques de la personnalité (états border-line, trouble schizotypique, névrose anxio-dépressive…) sous-jacents, constituant l’étiologie de la conduite addictive plus ou moins auto-thérapeutique au cannabis.

La conclusion du chapitre 6 (« Usagers et usages : formes pratiques, contextes », p.136) de ce même rapport est également significative, sur le plan de la prétendue dangerosité du cannabis en matière de violence :
• Le cannabis n’est pas en soit, une cause de consommation d’autres drogues.
• Le cannabis n’est pas en soit une cause de délinquance ou de criminalité.
• Les jeunes qui ont une trajectoire de consommation régulière et intensive ont souvent déjà une inscription dans une trajectoire déviante sinon délinquante.
• Le cannabis n’est pas une cause de violence.

Enfin, au chapitre « désordre psychiatrique »(100) :
« Divers désordres psychiatriques ont été associés à la consommation chronique de cannabis : troubles de l’humeur et épisodes dépressifs, troubles anxieux, troubles de la personnalité, ainsi que des conditions plus sévères comme les psychoses et la schizophrénie. Pour chacune de ces situations, la conclusion que tirent les auteurs du rapport sur la santé mentale et le cannabis préparé pour la Conférence scientifique internationale sur le cannabis s’applique généralement :
« On peut expliquer de trois manières la relation entre le cannabis et les désordres de l’humeur. Premièrement, ils partagent des facteurs de risque communs de sorte qu’ils ne sont pas en relation causale. Deuxièmement, les désordres de l’humeur peuvent prédisposer les personnes à consommer du cannabis. Et troisièmement, le cannabis peut susciter ou augmenter les symptômes dépressifs. Il n’existe, pas à l’heure actuelle, de réponse claire à la question de savoir lequel arrive en premier »(101).
« En ce qui concerne les troubles psychotiques et la schizophrénie, les deux sujets sont controversés, les méthodologies faibles, les données contradictoires et les interprétations souvent basées sur des modèles simplistes de la causalité. Si le cannabis peut dans certaines circonstances déclencher des épisodes psychotiques, ils sont le plus souvent courts et se résorbent rapidement. Quand à la schizophrénie, s’il est vrai que ces sujets ont une prévalence d’usage de cannabis plus élevé qu’en population générale, certains considèrent qu’il s’agirait d’un comportement d’automédication, tandis que d’autres considèrent que la consommation chronique de cannabis serait un facteur activateur du processus schizophrénique. La conclusion du rapport du Professeur Roques nous semble le plus en accord avec les données existantes actuellement :
« Aucune pathologie mentale directement reliée à la surconsommation de cannabis n’a été signalée (…). De même le cannabis ne semble pas précipiter l’apparition de dysfonctionnements mentaux préexistants (schizophrénie, dépression bipolaire, etc) ».(102)

Il est intéressant de noter que la conclusion du Comité Canadien, en 2002, s’appuie sur le rapport du Professeur Roques, datant de 1998, et remet en cause les conclusions du rapport INSERM de 2001, qui effectivement, présente les effets du cannabis sous un jour beaucoup moins « favorable » que le travail du groupe d’experts de B. Roques…

Dans le pré rapport scientifique(103) à ce rapport canadien, la question des anomalies anatomiques cérébrales évoquées dans le rapport Roques, comme étant désormais dénoncées, est reprise dans les termes suivants :
« L’hypothèse selon laquelle la consommation chronique importante de cannabis peut provoquer des transformations marquée de la structure cérébrale découle d’une seule étude mal contrôlée indiquant que les utilisateurs de cannabis présentaient une hypertrophie des ventricules cérébraux(104). Depuis lors, un certain nombre d’études mieux contrôlées, faisant appel à des méthodes plus poussées de recherche, n’ont jamais pu mettre en évidence une transformation structurelle dans le cerveau des utilisateurs à long terme faisant une forte consommation de cannabis(105). Ces résultats négatifs concordent avec les données selon lesquelles tous les effets cognitifs de l’utilisation chronique du cannabis sont subtils, et donc peu susceptibles de se manifester sous forme de transformation prononcées de la structure du cerveau. »

Dans un autre travail de synthèse récent, en France, le « Rapport sur l’impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques »(106), en introduction au sous chapitre « Un relatif consensus scientifique sur les effets à court terme du cannabis », le rapporteur écrit :
« Votre rapporteur a été surpris par l’insuffisance quantitative et qualitative des travaux scientifiques consacrés au cannabis, la principale difficulté dans l’analyse de ce produit réside dans la description de ses effets à long terme, aussi, après avoir rappelé la nature de ce produit ferai-je une description rapide des effets de court terme, constatés par les utilisateurs pour m’attarder sur le débat scientifique le plus complexe celui des effets à long terme du cannabis sur la santé mentale ». (…)

Outre ses différentes propriétés psycholeptiques et médicinales, le cannabis semble posséder une propriété rarement décrite, celle de générer de la confusion et de l’amalgame. En effet, dès lors que l’on tente de se faire une opinion sur ses effets, on se trouve dans l’incapacité de trouver des références nuancées sur cette substance qui, à l’évidence, mérite une approche subtile de sa complexité. La prise de conscience écologique s’est amalgamée à la défense du cannabis par le biais de son origine naturelle bien qu’elle ne soit en aucune manière preuve d’innocuité pour l’homme. En effet, la plante cannabis sativa comporte plusieurs substances qui possèdent des actions psychotropes différentes. La substance qui paraît la plus importante est le tétrahydrocannabinol (delta9-THC) ; mais d’autres, comme le cannabidiol (CBD), le cannabinol et le cannabigerol (CBG) ont des effets propres et peuvent également moduler l’action psychotrope globale (par exemple, le CBD réduit l’anxiété induite préalablement par THC) ».(107)

 

Les cannabinoides entrent en scène

Plus récemment, des travaux établissent le caractère « régulateur » de la co-présence de delta-9 THC et de Cannabidiol dans la marijuana : « le CBD atténue significativement l’euphorie subjective induite par le THC »(108)…

Dès les années 70, le cannabidiol (CBD)(109), un cannabinoïde non-psychotrope, a été isolé, et on a constaté des effets anti-épileptiques(110), anti-dystoniques(111), anti-émétiques(112), anti-inflammatoire(113), sédatif(114), et normothymique(115). Par ailleurs, le cannabidiol s’avère être neuroprotecteur(116), et il antagonise les effets psychotropiques du THC(117).

Les effets sédatifs et anxiolytiques du cannabidiol se sont avérés être tout à fait actifs en psychiatrie, et il est concevable de considérer le CBD comme un antipsychotique de « 3e génération »(118).
Mais, au delà des capacités pharmacologiques et thérapeutiques du cannabidiol(119), ce sont les études évoquant les effets « paradoxaux » de l’association delta-9 THC et CBD qui nous intéressent dans le cadre de cet article : dès 1975, Hollister et Gillespie(120) mettent en évidence que l’association CBD-THC tend à retarder et à prolonger les effets du THC, tout en diminuant l’intensité de ses effets, chez des « volontaires sains ».

Morgan et Curran de l’University College of London, pensent même que « Le cannabis fumé contenant du CBD en plus du delta-9 THC, pourrait avoir un effet protecteur sur les symptômes « psychotic-like » induit par le THC seul », « Cela produit l’évidence que les propriétés divergentes des cannabinoides ont des implications importantes pour la recherche en ce qui concerne le lien entre cannabis et psychose » (121).

Pour Raphael Mechoulam (qui identifia le premier en 1964 le delta-9 THC, qui participa par la suite à l’identification des 60 cannabinoides naturels présents dans le cannabis sativa, à celle des récepteurs cérébraux aux cannabinoides (CB1 et CB2), puis qui identifia le premier endocannabinoide, l’anandamide), « alors que la psychose cannabinique en tant qu’entité spécifique n’existe pas, on a mis en évidence quelques psychoses aiguës induites par une intoxication au cannabis en Afrique du Sud. Or, la résine de cannabis (dagga) d’Afrique du Sud ne contient fréquemment pas de CBD. Ce constituant a été montré comme étant un anxiolytique à la fois chez les animaux et les hommes(122), capable de réduire l’anxiété réactionnelle causée par le THC »(123). « On peut penser que la présence de cannabidiol dans la marijuana ou le hashish réduit le nombre de réactions psychotiques aiguës ; quoiqu’il en soit, la preuve expérimentale de cette action n’est pas disponible »(124).

Quant à la dernière étude disponible à cette date (18 novembre 2009), elle dit ceci : « Selon la recherche du King’s Collège de Londres, le THC et le CBD ont des effets opposés sur la fonction cérébrale. Les scientifiques ont étudié la fonction cérébrale de volontaires en bonne santé qui ont reçu le cannabinoïde avec une image fonctionnelle de résonance magnétique (fMRI). Le prétraitement avec le CBD a empêché les effets psychiques du THC »(125).

Il est quand même troublant de constater que la plupart des écrits sur cette co-occurrence « cannabis et troubles psychotiques », instruisent préférentiellement « à charge » ; la science est rarement convoquée pour déconstruire cette pseudo causalité ; et pourtant… la lecture assidue des revues internationales sur le sujet, abondent en « contre-théories », tout aussi sérieuses ; mais il s’agit alors de travaux non plus statistiques, mais, ethnosociologiques(126), non plus pharmaco-toxicologiques, mais neurobiologiques fondamentaux, ou sont le résultat d’observation cliniques dans des services de psychiatrie générale.
On citera ainsi, chez les canadiens, la synthèse de Stéphane Potvin, Emmanuel Stip et Jean Yves Roy, du Centre de Recherche Fernand Seguin, de l’Université de Montréal(127), et chez nos voisins de l’Université Catholique de Louvain, le rapport de recherche du Professeur J. Peuskens, et de Kristof Vansteelandt(128).

De même, en Angleterre, les travaux de la Beckley Foundation – Drug policy Program, fondation qui rassemble des scientifiques internationaux, spécialistes des drogues(129), pour qui il y a effectivement quelques données permettant d’évoquer « a minor association » entre la consommation chronique de cannabis (chez les adolescent et/ou chez ceux « prédisposé » aux maladies mentales) et l’augmentation des symptômes de dépression, des symptômes psychotiques, et/ou schizophréniques, mais qui assurent que l’interprétation de ces données est ambiguë, et qu’à ce jour, cette éventuelle association n’est pas explicitée(130).

L’association avec d’autres facteurs confondus comme « la pauvreté, l’histoire familiale, la polytoxicomanie… », fait que cette interprétation est particulièrement difficile, et qu’il est impossible de faire la part des choses entre ces différents « facteurs de risque ».

Là encore, ces chercheurs ont tendance à indiquer que l’association peut être uniquement due au comportement des patients, qui utilisent le cannabis, parmi d’autres substances psychotropes, en « auto-médication ».

Pour exemple, citons également les travaux suivants qui vont à « contre-courant » du « catastrophisme » ambiant sur le sujet ; ces travaux sont le plus souvent recensés dans le Bulletin de l’Association Internationale pour le Cannabis en Médecine (IACM)(131), ou dans les publications de la NORML (National Organization for the Reform of Marijuana Laws) (132) :
• Des chercheurs anglais ont analysé les symptômes de 757 sujets qui ont développé une schizophrénie. Parmi eux, 182 personnes (24 %) avaient utilisé du cannabis l’année de leur première consultation chez un psychiatre afin de soulager les symptômes de la maladie. Contrairement à ce qui a été décrit suite à quelques petites études, aucune différence des symptômes n’a pu être enregistrée entre les usagers de cannabis et les non consommateurs. De plus, chez les usagers de cannabis qui ont développé une schizophrénie, il n’y avait pas plus d’antécédents familiaux de la maladie que chez les non consommateurs. Les auteurs ont conclu que tous ces résultats argumentent « contre l’idée d’une psychose de type schizophrénique, spécifiquement provoquée par la consommation de cannabis ».(133)
• Des chercheurs allemands ont comparé les performances cognitives de 39 patients schizophrènes (19 usagers de cannabis et 20 non consommateurs) et 39 volontaires en bonne santé (18 usagers de cannabis et 21 non consommateurs). Dans l’ensemble, les résultats les plus mauvais ont été observés chez les patients schizophrènes. Mais, selon certains tests, « de façon surprenante, plutôt que de détériorer les performances neuropsychologiques, un usage régulier de cannabis précédant le premier épisode psychotique a augmenté la capacité intellectuelle ». Mais d’un autre coté, l’usage de cannabis a aussi réduit les performances intellectuelles chez les volontaires en bonne santé, surtout quand ceux-ci ont commencé de consommer du cannabis avant l’âge de 17 ans.(134)
Certains de ces travaux vont même dans le sens d’infirmer totalement cette hypothèse causaliste :
• Des chercheurs israéliens affirment que la relation entre la consommation de cannabis et l’augmentation du risque de schizophrénie qui a été observée aux termes d’études récentes en Suède, aux Pays –Bas, en Nouvelle-Zélande et en Israël pourraient ne pas être d’ordre causal. Plusieurs études ont en effet rapporté une association entre les gènes codant les récepteurs cannabinoïdes et la schizophrénie(135) ;ces chercheurs notent alors « qu’une explication alternative de l’association entre la consommation de cannabis et la schizophrénie pourrait être que les évolutions pathologiques du système cannabinoïde chez les patients schizophrènes est associé à la fois à une augmentation des taux de consommation de cannabis et à une augmentation du risque de schizophrénie, sans que le cannabis ne soit un facteur causal de schizophrénie »(136).
• Une étude réalisée auprès de sujets « prédisposés génétiquement » à la psychose, en raison d’une histoire familiale à cette maladie donne des résultats négatifs quant à l’augmentation du risque de schizophrénie chez les usagers de cannabis concernés par cette ascendance familiale : « Cannabis use or dependence in the year prior to recruitment to this study was not associated with a heightened risk of developing psychosis over the following 12-month period and therefore did not appear to contribute to the onset of a psychotic disorder. The results of this study suggest that cannabis use may not play an integral role in the development of psychosis in a high-risk group. While this study does not support a role for cannabis in the development of first-episode psychosis, we cannot conclude that cannabis use should be completely ignored as a candidate risk factor for onset of psychosis. A number of weaknesses of the study (the low level of cannabis use in the current sample, the lack of monitoring of cannabis use after intake) suggest that it may be premature to dismiss cannabis use as a risk factor for the development of psychosis and further research is urged in this area” (137).
• Des chercheurs de l’université de Bristol (Royaume-Uni) ont calculé le risque supplémentaire qu’encourent les consommateurs de cannabis de contracter la maladie, s’il existe un lien causal entre cannabis et schizophrénie. Ils ont découvert que pour une personne de sexe masculin, il existait un cas de schizophrénie supplémentaire sur 2800 consommateurs réguliers âgés de 20 à 24 ans. Le même résultat est observé sur un échantillon de 5470 consommateurs réguliers âgés de 35 à 39 ans. Pour les femmes, les chiffres sont : un cas supplémentaire sur 5470 consommatrices âgées de 25 à 29 ans et un cas supplémentaire pour les 10879 de l’échantillon des 35 à 39 ans. Les risques pour les consommateurs occasionnels sont encore plus faibles(138).

 

Où l’Angleterre se signale par un autoritarisme suspect…

Nous conclurons sur un évènement récent, qui nous parait illustrer la dimension politique majeure de ce débat scientifique, le « licenciement » récent, en Angleterre, du Pr David Nutt(139).
David Nutt était le président du Conseil Consultatif en matière d’utilisation illicite de drogues (Advisory Council on the Misuse of Drugs), sorte de M.I.L.D.T. (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie) anglaise :

«Après avoir critiqué le gouvernement au sujet du reclassement du cannabis en catégorie B des substances illicites, le ministre de l’Intérieur Alan Johnson a prié David Nutt, de quitter sa fonction. En guise de protestation, deux autres membres du conseil ont également démissionné. Le journal The Times a rapporté le 2 novembre que la réaction au renvoi de D. Nutt pouvait entraîner encore d’autres retraits du conseil consultatif ».

D. Nutt avait déclaré que le cannabis, mais aussi l’ecstasy et le LSD étaient moins dangereux que l’alcool, et « qu’il est moins dangereux de prendre de l’ecstasy que de faire du cheval », ce qui avait déclenché son exclusion du Conseil.

Deux experts, Marion Walker et le Dr Les King avaient donc démissionné dans la foulée. Ce sont maintenant trois experts qui ont quitté à leur tour l’Advisory Council on the misuse of drugs pour protester contre l’attitude du gouvernement britannique envers les scientifiques ; il s’agit des Dr John Marsden, Ian Ragan et Simon Campbell. Le tout après une réunion avec le ministre de l’intérieur qui n’a servi à rien… D’autres universitaires sont rentrés dans l’arène, comme Colin Blakemore, professeur de neuroscience à Oxford : « Ce gouvernement manque de transparence. Dans le cas du cannabis, sa décision était prise avant même qu’il ne consulte ses experts, ce qui est très démoralisant pour les chercheurs qui font ce travail bénévolement. »

Alan Johnson a motivé le renvoi de D. Nutt par le fait que ce dernier agissait contrairement à la politique en matière de drogues menée par le gouvernement. Le président du Conseil consultatif s’est justifié en déclarant que le gouvernement de Gordon Brown était le premier gouvernement dans l’histoire de la loi sur les stupéfiants de 1971 (Misuse of Drugs Act) à prendre des décisions contraires aux recommandations scientifiques.

À ce sujet, D. Nutt a déclaré à la B.B.C. que « certains aspects scientifiques ne devraient pas faire l’objet d’une politique bornée menée par les partis », et d’ajouter « Il est inutile d’avoir des lois spécifiques aux drogues qui soient à la fois insensées et non fondées, et ce tout simplement parce que certains politiciens s’en servent de temps à autre pour mener des actions répressives contre les consommateurs ».
D’autres chercheurs sont d’accord avec cela en estimant que la conduite de la politique doit se baser sur des fondements objectifs. Ce qui a le plus irrité ces chercheurs est le fait que les politiciens utilisent des informations quand elles vont dans le sens des politiques, et les ignorent quand elles vont dans le sens contraire(140) ».

En fait, il y a là tous les éléments pour une véritable controverse scientifique :
• le Pr Nutt a fait publier l’année dernière, une étude qui remet en question les meta-analyses évoquant l’incidence de l’usage du cannabis sur « l’éclosion » plus fréquente des schizophrénies(141) ;
• d’autre part, il est associé à la Beckley Foundation ; or, dans un rapport de la Global Cannabis Commission(142), composée d’éminents scientifiques, commandé par la Fondation britannique Beckley, il est écrit que le fait de fumer du cannabis est moins nocif que de fumer des cigarettes ou de boire de l’alcool. Ce rapport a été rédigé par un groupe de chercheurs parmi les plus éminents dans le domaine de la politique en matière de drogues et relative au cannabis, dont Benedikt Fischer de l’université Simon Fraser de Vancouver (Canada), Peter Reuter de l’université du Maryland (États-Unis), Wayne Hall de l’université du Queensland (Australie), Simon Leñon de l’Institut technologique national de recherche sur les stupéfiants de l’université Curtin (Australie) et Robin Room de l’université de Melbourne (Australie). Ils ont écrit : « Même si le cannabis peut avoir une influence négative sur la santé, y compris la santé mentale, les dégâts qu’il provoque restent moins nocifs que ceux entraînés par l’alcool ou le tabac… Beaucoup des dégâts qui sont associés à la consommation de cannabis sont le résultat de l’interdiction même, notamment des dégâts sur le plan social provoqués par des arrestations et des peines de prison… Il n’y a que la régulation du marché qui va pouvoir protéger les jeunes personnes des variétés de plus en plus puissantes de cannabis »(143).

Lorsque cet éditorial du Lancet de novembre 1995 déjà cité(144), affirmait « Tôt ou tard, les politiques devront cesser de se voiler la face et se rendre à l’évidence : le cannabis en lui-même n’est pas un danger pour la société, mais persister à le diaboliser peut en être un », le ton était le même, mais nos gouvernement européens sont véritablement parvenus en ce début du 21e siècle sur la voie la plus « réactionnaire » qui soit.

Pour Nutt, il est évident que l’alcool et le tabac sont beaucoup plus dangereux que le cannabis. C’est ce qu’il a réaffirmé cet été lors d’une conférence pour le Centre for Crime and Justice Studies (CCJS) au King’s College de Londres où il a remis en cause la distinction artificielle entre les drogues officielles et les substances comme l’alcool ou le tabac. Pour ce faire, Nutt a construit une échelle de dangerosité qui place l’alcool au cinquième rang des substances les plus dangereuses, derrière l’héroïne, la cocaïne, les barbituriques et la méthadone. Le tabac est au neuvième rang, et le cannabis, le LSD et l’ecstasy respectivement aux 11e, 14e et 18e rangs. (Ce travail est d’ailleurs assez similaire à celui réalisé par le Professeur Roques en France, en 1998(145), rapport qui avait été défendu par le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, contre quelques attaques « marginales »).

Alors, en France, ou en sommes nous ? La campagne anti-drogue récemment publiée par la M.I.L.D.T., est dans la droite ligne des déclarations politiques anti-cannabis, qui sont apparues dès la fin de l’époque « socialiste » , en 2000 : c’était Dominique Perben, alors ministre de la Justice, qui avait déclaré à l’Assemblée Nationale le 24 octobre 2002 « L’usage de cannabis peut être un comportement porteur d’une dangerosité sociale réelle, allant au-delà de la problématique sanitaire touchant le consommateur toxicomane » ; puis, ce fut le tour de Nicolas Sarkozy, qui, dans une préoccupation plus électoraliste et plus autoritariste que jamais, avait relancé dans les médias, la stigmatisation de l’usage de cannabis, la « chasse aux drogués » ; lui, qui voulait « éradiquer l’épidémie de cannabis », et qui, devant les sénateurs en avril 2003, « réclamait de la sévérité à l’égard des consommateurs. »(146)

Aujourd’hui, l’action de la M.I.L.D.T. semble être très majoritairement centré sur la répression (Michèle Alliot-Marie et la M.I.L.D.T. lancent la campagne : « La Drogue si c’est illégal, ce n’est pas par hasard »(147)), et s’appuie sur les travaux les plus péjoratifs concernant les effets liés à l’usage de cannabis : « Néanmoins, chez certaines personnes, le cannabis peut engendrer ou aggraver un certain nombre de troubles psychiques comme l’anxiété, la panique et favoriser la dépression. Il peut aussi provoquer l’apparition d’une psychose cannabique. Le cannabis est également susceptible, chez les sujets prédisposés, de révéler ou d’aggraver les manifestations d’une maladie mentale grave, comme la schizophrénie »(148).

Alors, à quand une attaque ciblée sur un scientifique, un chercheur, ou un médecin qui écrirait une thèse déplaisante pour le pouvoir en place ?

Dans le champ de la clinique des drogues, comme en psychiatrie, la « nuit sécuritaire »(149) serait-elle, en France comme en Angleterre, en train de tomber… ? L’Académie Nationale de Pharmacie nous aura prévenu !
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Notes :
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta-analyse
(2) La pandémie cannabique, Académie nationale de Pharmacie, Recommandation adoptée par le Bureau le 6 novembre 2007.
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(5) HOCHMANN J. : Le déclin de l’empire psychiatrique, Psychiatrie Française, 2010, à paraître.
(6) HOCHMANN J. : op cité.
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(8) HOCHMANN J. : op cité.
(9) Le BEC P.Y., FATSEAS M., DENIS C., LAVIE E., AURIACOMBE M. : Cannabis et psychose : recherche d’un lien de causalité à partir d’une revue critique systématique de la littérature, L’Encéphale, 2009, 35, 4, 377-385.
(10) HOCHMANN J. : op cité.
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GEBEROVICH F. : No satisfaction. Psychanalyse du toxicomane, Paris, Albin Michel, 2003.
(16) PAGES-BERTHIER J. : Psychanalyse et toxicomanie, Revue Toxibase, 1993, 2.
Psychanalyse et toxicomanie PAGES-BERTHIER J., N° 2/1993
(17) ANGEL P., RICHARD D., VALLEUR M. : Toxicomanie, Paris, Editions Masson, coll. « Abrégés », 1999.
(18) HOCHMANN J. : op cité.
(19) BUIN Y. : Psychiatries. L’utopie, le déclin, Paris, Erès, 1999, p.56.
(20) Idem p.50.
(21) HOCHMANN J. : op cité.
(22) MOREAU de TOUR J. : Du haschich et de l’aliénation mentale, (1845, Paris, Fortin-Masson), Yverdon, Kesserling, 1974.
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(25) MOREAU de TOUR J. : Du haschich et de l’aliénation mentale, (1845, Paris, Fortin-Masson), Yverdon, Kesserling, 1974.
(26) SAMI-ALI : Le Haschisch en Egypte. Essai d’anthropologie psychanalytique, Paris, Payot, 1971, rééd. Dunod, 1988.
(27) SAMI-ALI : Le Haschisch en Egypte. Essai d’anthropologie psychanalytique, Paris, Payot, 1971, rééd. Dunod, 1988.
(28) MOREAU de TOUR J. : Du haschich et de l’aliénation mentale, (1845, Paris, Fortin-Masson), Yverdon, Kesserling, 1974.
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