Comment le cannabis peut favoriser les troubles psychotiques : conséquences, dépistage et prise en charge, Alain Dervaux, 2019

Comment le cannabis peut favoriser les troubles psychotiques : conséquences, dépistage et prise en charge

Alain Dervaux

L’Information Psychiatrique, 2019, 95, (8), 672-678

* Travail présenté aux 37es journées
de la Société de l’Information
Psychiatrique, Antibes, 4-6 octobre 2018.

Résumé

Les relations complexes entre cannabis et psychoses ont fait l’objet de nombreux travaux depuis une vingtaine d’années. La consommation de cannabis peut s’accompagner de symptômes psychotiques chez certains sujets (jusqu’à 15 % des consommateurs) qui disparaissent avec l’élimination du -9-THC de l’organisme. Elle peut aussi augmenter par deux le risque de troubles psychotiques, notamment de schizophrénie. Le risque est d’autant plus élevé que la consommation de cannabis a commencé précocement, qu’elle est importante, que le cannabis consommé est fortement dosé en-9-THC, qu’il existe des antécédents familiaux de troubles psychotiques, des facteurs génétiques de vulnérabilité et des maltraitances dans l’enfance. Chez les patients schizophrènes, la consommation de cannabis est très fréquente. Chez les patients présentant un premier épisode psychotique, un tiers présente aussi un abus/dépendance à l’alcool ou aux drogues. L’abus/dépendance au cannabis aggrave leur évolution : aggravation des symptômes positifs, augmentation du risque de troubles dépressifs, du risque suicidaire, des rechutes et des ré-hospitalisations. En revanche, l’évolution des sujets qui arrêtent leur consommation est beaucoup plus favorable que celle des patients qui la continuent. Pour cela, il est important de prendre en charge les patients le plus précocement possible, dans le cadre d’une approche addictologique, notamment motivationnelle, intégrée dans la prise en charge psychiatrique.

Mots clés : cannabis, dépendance, premier épisode psychotique, schizophrénie, prise en charge, facteur de risque

 

Symptômes psychotiques induits par le cannabis

Les effets psychotomimétiques du cannabis ont été décrits par Moreau de Tours dès 1845 : phénomènes
de dissociation des idées, idées fixes, convictions délirantes, illusions et hallucinations. Des liens entre
consommation de cannabis et troubles psychotiques ont aussi été rapportés dans les années 1960 et 70
[1]. Jusqu’à 15 % des consommateurs indemnes de pathologie psychotique présentent des symptômes psychotiques lors de la consommation, notamment des idées délirantes de devinement de la pensée, des idées délirantes de référence dans laquelle le sujet pense que certains éléments de l’environnement possèderaient une signification particulière pour lui, des états de déréalisation/dépersonnalisation et de désorganisation de la pensée [2]. Ces symptômes apparaissent une heure à 1 heure 30 environ après le début de la consommation, peuvent durer 12 à 24 heures et disparaissent en quelques jours, une semaine maximum (pour revue, [3]). Ces effets sont liés aux effets agonistes du delta-9-tetrahydrocannabinol (-9-THC) sur les récepteurs cannabinoïdes cérébraux CB1. Une étude expérimentale randomisée en double aveugle contre placebo, évaluant les effets du THC, administré par voie intraveineuse, chez 22 sujets sains, a retrouvé que le - 9-THC induisait des symptômes psychotiques positifs, négatifs et cognitifs, évalués à l’aide de la Positive and Negative Syndrome Scale (Panss) [2].

Les nouveaux cannabinoïdes de synthèse, achetés sur Internet sous les appellations « herbal incense, spice, K2 etc », ont une affinité 5 à 50 fois supérieure pour les récepteurs cannabinoïdes CB1. Ils peuvent induire des symptômes psychotiques aigus sévères et ne sont pas détectables par les tests de routine de dépistage.

Troubles psychotiques induits par le cannabis

Définition

Les troubles psychotiques induits par une substance, appelés autrefois pharmacopsychoses, sont caractérisés dans les classifications internationales telles que la CIM-10 (troubles psychotiques induits par le cannabis, code F12) ou dans le DSM-5 (troubles psychotiques induits par le cannabis), par des idées délirantes ou des hallucinations au premier plan. Les symptômes apparaissent durant une intoxication ou un sevrage dans le mois qui a suivi et persistent jusqu’à un mois après leur apparition. Ils ne sont pas mieux expliqués par un trouble psychotique non induit par une substance (DSM-5).

Évolution des troubles psychotiques induits par le cannabis

Trois études scandinaves ont retrouvé que près de la moitié des patients ayant présenté des troubles
psychotiques induits par le cannabis avaient reçu ultérieurement un diagnostic de schizophrénie. L’étude de registre d’Arendt et al. a retrouvé qu’environ la moitié d’une population de 609 patients pris en charge pour des troubles psychotiques induits par le cannabis au Danemark, avaient rec¸u un diagnostic de trouble schizophrénique dans les neuf ans suivant le diagnostic initial [4]. L’étude de registre Finnish Hospital Discharge Register en Finlande, a retrouvé que dans une population de 125 patients suivis après une hospitalisation pour troubles psychotiques induits par le cannabis entre janvier 1987 et décembre 2003, le risque de recevoir un diagnostic de schizophrénie était de 46 % dans les huit ans après l’épisode index (IC95%: 35-57 %) [5]. La transition psychotique était observée dans les trois premières années chez la majorité des patients.

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