Que (Devrait-on) Savoir sur la Pharmacologie du Cannabidiol ?, Addictovigilance, 2020

Que (Devrait-on) Savoir sur la Pharmacologie du Cannabidiol ?

Article rédigé par les Centres d’Addictovigilance de Grenoble, Marseille, Paris

Addictovigilance, Bulletin de l’Association des Centres d’Addictovigilance, 2020, 13.
www.addictovigilance.fr

Messages clefs

Les phyto-cannabinoïdes et les cannabinoïdes de synthèse ont des effets très variés,utiles à caractériser d’un point devue pharmacologique pour mieux préciser les effets de chacun et leurs éventuelles interactions chez l’Homme, a fortiori dans un contexte de large diffusion.

Le cannabidiol (CBD) est l’un des principaux phyto-cannabinoïdes présent dans Cannabis sativa, avec le tétrahydrocannabinol (THC).

Le CBD a une action pléiotropique notamment sur les récepteurs à la sérotonine, à la dopamine et pas ou très peu d’effets sur les récepteurs aux cannabinoïdes CB1 et CB2.

Du fait de ses effets inhibiteurs sur différents cytochromes hépatiques, les interactions du CBD avec des médicaments peuvent induire des effets indésirables graves.

«Proposer» le CBD dans une cigarette électronique avec une allégation de traitement médical est particulièrement délétère.

Le potentiel addictogène du CBD n’est pas suffisamment évalué pour pouvoir écarter tout risque, notamment de potentialisation d’addiction à d’autres substances.

Cibles pharmacologiques du CBD

Elles sont multiples, le Cannabidiol  étant:

-un agoniste du récepteur sérotoninergique 5HT1A, l’apparentant aux effets de la buspirone, anxiolytique non dérivé des benzodiazépines

-un agoniste partiel du récepteur dopaminergique D2; ses effets à concentration élevée s’apparentent à ceux de l’aripiprazole

-un modulateur de nombreux canaux : Transient receptor Potential Vanilloid2 (TRVP2), ioniques : Na, K,

-pourvu d’une très faible affinité pour le récepteur CB1 (CB1 Ki (nm) = 4350) : ce n’est pas un «cannabis-mimétique». A l’inverse du THC, le CBD diminue l’activation du récepteur CB1. Selon les auteurs, c’est un agoniste inverse de ce récepteur, un modulateur allostérique négatif, un agoniste biaisé.

Fugaca et al., 2014; Seeman 2016; Pumroy et al., 2019; Watkins, 2019; Pertwee, 2008; Laprairie et al., 2015; Navarro et al., 2018; Fogaca et al., 2018

Interactions du CBD avec les médicaments

Des études expérimentales in vitro ont montré que le CBD est un puissant inhibiteur de plusieurs cytochromes enzymatiques et notamment des cytochromes CYP2B6, CYP2C19 et CYP3A4, voies métaboliques de nombreux médicaments.
Bornheim et al. 1993; Yamaori et al. 2011; Jiang et al. 2013; Bouquié et al. 2018

Chez l’Homme, des interactions pharmacocinétiques entre CBD et des médicaments ont été mises en évidence notamment avec les médicaments anti-épileptiques (clobazam, topiramate..),des médicaments anti-coagulants (warfarine), des médicaments immuno-supresseurs (tacrolimus, ciclosporine) conduisant à des variations significatives de leurs concentrations plasmatiques.
Geffrey et al. 2015 ; Gaston et al. 2017 ; Graysonet al. 2018 ; Cunettiet al. 2018 ; Leino et al. 2019

Cannabidiol et vapotage: quoi de neuf ?

L’épidémie nord-américaine, récente, d’atteintes pulmonaires, parfois mortelles, après vapotage de nicotine ou de cannabinoïdes peut légitimement inquiéter : l’acétate de vitamine E présent dans les e-liquides est la substance, actuellement, la plus suspectée. Blount et al., 2019

La responsabilité du vapotage dans la survenue d’un décès récent d’un patient belge qui «aurait» vapoté du cannabidiol, doit être confirmée.

Le rôle du cannabidiol dans ces syndromes pulmonaires n’est, actuellement, pas discuté ni démontré.

Les études expérimentales sur les effets anti-inflammatoires ou pro-inflammatoires du CBD doivent être poursuivies.
Muthumalage et al., 2019

Rappelons enfin que l’analyse toxicologique de 9 e-liquides de«CBD», achetés, en tant que tels, aux USA sur internet, détectait, dans 2 cas, du 5-fluoro MDMB-PINACA, un cannabinoïde de synthèse puissant. Poklis et al., 2019

Cannabidiol et addiction

Les études expérimentales et cliniques de l’évaluation du potentiel d’abus du cannabidiol (CBD) sont peu nombreuses, incitant à la prudence avant de préciser ce potentiel.

Une étude récente chez des usagers de multiples substances à des fins récréatives, a montré le faible potentiel d’abus du CBD (dose : 750mg) en comparaison de l’alprazolam (2mg) et du dronabinol (10 et 30mg); néanmoins l’appétence («drugliking») au CBD était transitoirement significativement supérieure à celle au placebo, aux doses élevées (1.500mg et 4.500mg) de CBD. Schoedel et al.,2018

Une autre étude n’a pas montré de potentiel d’abus du CBD chez des usagers de Cannabis.
Babalonis et al.,2017

Diverses études expérimentales ont été effectuées pour déterminer l’intérêt éventuel du CBD dans le traitement d’addictions à diverses substances : ces études sont trop préliminaires pour en tirer des conclusions, à l’heure actuelle.
Chye et al., 2019

A signaler que la réduction des effets aversifs du THC par le CBD pourrait renforcer le potentiel addictogène du THC.
Vann et al., 2008; McMahon, 2016

Cannabidiol et (Fake) News: Vrai ou Faux ?

Le cannabidiol n’aurait pas d’effet neuro-ou psychoactif : Faux
L’effet anti-convulsivant est démontré (le cannabidiol est aussi présent dans un médicament pour ses effets thérapeutiques anti-convulsivants); l’effet sédatif du CBD est démontré : il est probablement médié par l’effet agoniste des récepteurs 5HT1A
Samanta, 2019; Resstel, 2009

Le cannabidiol aurait un effet proche du tétrahydrocannabinol (THC) : Faux
En réalité, le CBD n’a pas les effets du THC, agoniste du récepteur cannabinoïde CB1.
Pertwee, 2008

Le CBD correspond à du cannabis médical (ou thérapeutique) : Faux
LeCBD est un constituant parmi plus de 100 substances contenues dans la plante Cannabis sativa : les principaux effets attribués au «Cannabis médical» sont liés aux effets du THC et pas au CBD.

Le cannabidiol serait illicite : Faux
Le CBD et son usage ne sont pas illicites; le CBD n’est, actuellement, pas classé sur une quelconque liste nationale ou internationale (O.N.U.); en revanche, comme l’extraction de CBD se fait à partir d’une plante de Cannabis, la présence de quantités, même infimes (même très inférieures à 0,2%), de THC dans la préparation de CBD peut exposer à d’éventuelles sanctions en raison de cette présence de THC;
à notre connaissance, il n’ya pas eu, jusqu’à présent en France, de sanctions de ce type pour usage de CBD : l’occurrence de telles sanctions est peu vraisemblable.

Bulletin_Addictovigilance_Pharmacologie_CBD_2020