Dossier Cannabis thérapeutique, Le regard de William Lowenstein, SWAPS, 2009

Dossier Cannabis thérapeutique

Le regard de William Lowenstein

par William Lowenstein

SWAPS, 4e trimestre 2009, 57.

 

KCacX13b est un cousin éloigné. Sa planète, que nous garderons anonyme pour des raisons évidentes de sécurité, est éloignée de 125 millions d’années lumières du ministère de l’Intérieur et de la Mildt. KCacX13b, que je surnomme CAC40 pour rire, adore nous rendre visite tous les dix ans, pour parler de la famille dit-il. Je pense qu’il vient surtout pour faire son marché. Du fait de la supérieure intelligence de son peuple et de sa non moins parfaite androïdité, l’incohérence et la stupidité ont disparu de sa planète depuis plus de vingt et un siècles. Un trafic intergalactique s’est organisé et une des planètes les plus recherchées pour s’approvisionner en perles de stupidité et d’incohérence est notre bonne vielle terre, grâce – aime-t-il à le souligner – à notre beau pays et à ses politiques dont la teneur en incohérence serait une des plus élevées de la nébuleuse.

Lors de son voyage précédent, il avait déjà fait une belle récolte en cueillant l’historique de notre politique de santé des addictions. Les déclarations patriotiques de certains députés sur le vin thérapeutique (“le vin est un aliment naturel, ce n’est pas de l’alcool ; c’est bon pour le coeur et la santé”) et les 40000 morts françaises par an dues à l’alcool lui avaient apporté un franc succès et une petite fortune en rires locaux. J’avais évité le pire en réussissant à lui cacher qu’un de nos plus grands circuits de course automobile était le circuit Paul Ricard…

Aujourd’hui, je sens bien que je ne vais pas échapper à ses questions sur le cannabis thérapeutique : une telle stupidité, une telle incohérence sanitaire, cela lui met les cyto-neurones à la bouche.

Il a commencé finement en me demandant pourquoi nous avions autorisé les traitements antalgiques opiacés avec notre trafic mondial d’héroïne. J’étais un peu embêté pour lui répondre mais je l’ai bluffé en lui expliquant que Messieurs Horteppert et Afeux étaient nés après la guerre de 1870 et n’avaient pas pu sévir.

Ensuite, il a voulu savoir pourquoi, tout simplement, nous ne faisions pas quelques études sérieuses sur les éventuels bienfaits du cannabis dans différentes pathologies. Il avait calculé que cela n’engageait qu’un dixième des sommes versées pour équiper les Caraïbes en caméras infrarouges utilisées dans la lutte contre les speed-boats. Là, j’étais mal. Je voulais défendre BK et les 3 programmes de recherche qu’il avait initiés en France, en 2001 (un sur le traitement de la SEP, un sur le glaucome et le dernier sur les effets négatifs des traitements anti-hépatite C). Mais comment lui expliquer qu’à cause d’un premier tour présidentiel stupéfiant, L J s’était retiré sur l’Ile de Ré et que les budgets de recherche n’étaient jamais arrivés dans les mains des équipes hospitalières ? Alors, je me suis replié sur une argumentation générale : nous sommes une nation à forte culture hypocritico-complexe ; la question du cannabis thérapeutique n’est pas posée, chez nous, sous la pauvre et simple forme d’une question médicale (c’est bon pour des Nord-Américains primitifs ou pour des Néerlandais !) mais comme un glorieux problème médico-politico-moral. Grâce à nos arrestations annuelles pour usage de cannabis (un échantillon très représentatif de plus de 150000 personnes par an), nous étudions très sérieusement – certes, dans nos commissariats et nos tribunaux, mais cela témoigne de notre sens aiguisé de la transdisciplinarité – l’usage adaptatif de cette substance. Nous pouvons ainsi observer finement qu’un consommateur de THC placé en garde à vue présente dans 98% des cas des difficultés d’endormissement, une anorexie relative et un état anxieux notable ; cela montre bien le peu d’intérêt du cannabis dans les troubles du sommeil, de l’appétit et des pathologies nerveuses. Il a été également rapporté, après 36 heures de garde à vue, des douleurs neuro-musculaires notamment du rachis et de la ceinture scapulo-humérale, dans 87% des cas ; cela infirme le très virtuel potentiel antalgique prêté au cannabis.

Pour finir, CAC40 a demandé pourquoi le ministère de la Santé s’occupait moins de la question du THC thérapeutique que le ministère de l’Intérieur et ce qu’étaient la philosophie et l’accessibilité d’une ATU nominative. Cela m’a tellement énervé que je n’ai pas répondu et suis allé me coucher. Le lendemain, j’ai envoyé une lettre à M. Eric B pour signaler à notre ministre des Transfuges qu’un certain KCacX13b, parfois appelé CAC40, n’avait pas ses papiers et voulait fumer de l’Afghan.

Mon cousin éloigné a dû rejoindre sa planète : plus aucune nouvelle ! Je peux enfin re-regarder, tranquillement, la télé et Mini-Mati, notre ange-gardien à nous les Français, peuple descendant de Descartes et Pasteur, épris de Lumière et de Liberté.