Cannabis thérapeutique : une certitude et de nombreuses interrogations, Yann BISIOU, 2020

Cannabis thérapeutique : une certitude et de nombreuses interrogations

Yann BISIOU, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles,

CORHIS, EA 7400, université Paul-Valéry, Montpellier

in “Politique de Santé, Santé Publique, Economie de la Santé”, G. Delande, Ph Amiel, R. Bourret, J. Bachri, Chap. 10, Revue Droit et Santé, Janvier 2020, 93, 3-10.

 

C’est maintenant une certitude, la France va expérimenter le cannabis thérapeutique
à partir de 2020. Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, l’Assemblée nationale a en effet voté à l’unanimité un amendement pour autoriser cette expérimentation.
Même si le Sénat a rejeté dans sa totalité le projet de loi, plusieurs groupes ont salué une mesure « intéressante », et l’adoption définitive du texte est quasiment certaine. Il viendra sécuriser un projet dont la légalité est jusqu’à présent fragile (I), mais il laisse cependant subsister de nombreuses interrogations qui tiennent à l’organisation concrète du dispositif (II) et au statut des patients engagés dans l’expérimentation (III).

I. Le cadre légal

L’amendement voté en première lecture du projet de loi de financement de la Sécurité
sociale pour 2020 prévoit d’autoriser la délivrance de cannabis « sous la forme de produits répondant aux standards pharmaceutiques ». Depuis 2014, un médicament à base de cannabis, le Sativex®, dispose d’une AMM (autorisation de mise sur le marché), mais, faute d’accord sur le taux de remboursement, il n’est pas commercialisé3. D’autres
médicaments à base de cannabis font l’objet d’autorisations temporaires d’utilisation
individuelles (ATU), mais ils ne sont proposés qu’à un nombre restreint de patients. Dans le cadre de l’expérimentation, ce sont les fleurs séchées de cannabis, qui concentrent les principes actifs, qui pourront être prescrites avec plusieurs voies d’administration (la forme fumée étant exclue) et plusieurs concentrations en principes actifs (tétrahydrocannabinol [THC] et cannabidiol [CBD]).

La France rejoint ainsi la grande majorité des pays européens, vingt-trois autorisant
des médicaments contenant du THC ou du CBD et dix-neuf, l’usage médical des fleurs séchées.

L’expérimentation prévue pour durer deux ans devrait bénéficier à 3 000 patients. Elle est entourée de garanties que d’aucuns jugeront excessives. Le cannabis sera prescrit en dernière intention, pour certaines pathologies réfractaires aux traitements actuellement proposés, dans le cadre de soins de support en oncologie dans les situations palliatives, ou pour des patients souffrant de certaines formes d’épilepsies sévères et pharmaco-résistantes, de douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) ou de sclérose en plaques afin de lutter contre la spasticité douloureuse associée à cette pathologie.

Même si l’amendement prévoit qu’un décret précise les conditions de mise en oeuvre, il est acquis que, dans une première phase, la prescription sera confiée à des médecins hospitaliers référents volontaires et que le produit sera délivré en pharmacie d’hôpital. Une fois le traitement stabilisé, le suivi pourrait être assuré en médecine de ville et le
cannabis délivré en officine. Un registre permettra d’analyser les résultats pour l’ensemble des patients intégrés dans l’expérimentation.

Quant au financement du dispositif et aux modalités d’importation, de production et
d’approvisionnement, là encore le décret devrait les préciser, mais il est envisagé, pour la première phase, que l’Assurance maladie assume la formation des personnels de santé, la tenue du registre et l’analyse de l’évaluation de l’expérimentation, le cannabis étant « donné à titre gracieux par les entreprises étrangères bénéficiant déjà d’une expertise dans le cannabis médical ».

L’amendement adopté par la représentation nationale était indispensable car, depuis un an, l’ANSM est bien seule pour préparer l’expérimentation. L’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie ont exprimé une hostilité de principe, la Haute Autorité de santé et le ministère de la Santé se faisant très discrets. On sait simplement que la décision de créer un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) sur le cannabis thérapeutique a été prise par l’ANSM en concertation avec le ministère de la Santé et le Premier ministre.

En outre, le droit positif n’est pas adapté à l’expérimentation telle qu’elle est conçue. L’expérimentation ne correspond pas aux dispositions relatives au médicament puisqu’elle n’est pas liée à une procédure d’AMM (art. L. 5121-20 du CSP et R. 5121-10 et s. du CSP). Elle ne correspond pas non plus à la notion d’étude de cohorte. Pire encore, l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique qui interdit toute activité industrielle sur le cannabis prévoit des dérogations aux fins de recherche ou pour fabriquer des dérivés autorisés, mais pas de dérogation à des fins médicales. Il était donc nécessaire que le législateur vienne sécuriser cette initiative réclamée par de nombreux patients souffrant de pathologies très lourdes. Pour autant l’amendement voté laisse de nombreuses questions en suspens, à commencer par l’organisation concrète du dispositif.

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