Le cannabidiol (épisode 2), CEIP-A de Paris, 09/04/2019

Le cannabidiol (épisode 2)

http://addictovigilance.aphp.fr/2019/04/09/le-cannabidiol-episode-2/
Après l’épisode 1 sur le cannabidiol, le CEIP-A de Paris propose l’épisode 2

Une mise à jour des données sur le CBD a permis de mettre en lumière de nouvelles informations que nous souhaitons communiquer à travers l’épisode 2 de notre série d’articles sur le cannabidiol (CBD).

Depuis le début du mois de décembre 2018 l’Epidyolex®, un médicament sous forme de solution buvable contenant du CBD dosé à 100mg/mL, est disponible en France. Il dispose d’une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) dans l’indication du traitement des convulsions insuffisamment contrôlées par les traitements actuels dans le syndrome de Lennox-Gastaut et dans le syndrome de Dravet pour des enfants âgés de 2 ans et plus, en association à d’autres traitements antiépileptiques et en adjuvant du clobazam. La qualité et la composition de l’Epidyolex® sont pharmaceutiquement contrôlées.[1] [2]

Le 22 janvier 2019 l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a émis une alerte concernant les dangers liés à l’utilisation de produits contenant du CBD vendus notamment sur internet. L’ANSM rappelle aux patients et aux parents d’enfants souffrant d’épilepsie  de ne pas utiliser des produits contenant du CBD vendus en dehors du circuit légal. En effet, la qualité et la sécurité de ces produits n’en seraient pas garantie, en particulier en ce qui concerne la quantité réelle de CBD, la présence éventuelle du tétrahydrocannabinol (THC) ou d’autres produits toxiques (cannabinoïdes de synthèse, excipients…), exposant donc à des risques graves.[3]

Quelle est la composition des produits vendus ?

Une étude américaine rapporte des variations de qualité et de pureté du CBD disponible sur le marché (Bonn-Miller et al. 2017).

Figure 1: résultats d’une étude sur la pureté des produits vendus (de Bonn-Miller et al. 2017)

L’analyse des produits vendus montre que leur contenu n’est pas conforme à ce qui est annoncé dans 55% des cas. L’étiquetage des produits vendus n’est pas fiable et expose  à des risques d’intoxication notamment avec du THC ou d’autres produits toxiques. En 2019, un cas d’intoxication pédiatrique a été rapporté aux États-Unis suite à la prise de CBD qui contenait un cannabinoïde de synthèse (AB-FUBINCACA)[4], ce qui illustre bien le danger de la vente sur Internet.

De même, en janvier 2019, il est rapporté un E-liquide de CBD contenant du 5-fluoro MDMB-PINACA (5F-ADB), un cannabinoïde de synthèse et du dextrometorphane par Poklis et al. 2019.

Les effets indésirables  du CBD

Les effets indésirables sont relevés dans plusieurs études : l’étude GWEP1431 est un essai clinique conduit en double aveugle et cross-over chez des usagers de drogues en doses uniques. L’étude clinique Devinsky et al. 2018 concerne des enfants mis sous CBD au long cours et l’étude Szaflarski et al. 2018 est une étude clinique réalisée chez des patients au long cours. Les effets indésirables du CBD qui ressortent de ces études sont représentés sur la figure ci-dessous.

Figure 2 : Les effets indésirables les plus fréquents[5] [6] [7]

 

Interactions pharmacologique du CBD

Le CBD peut interagir avec les médicaments ou les substances psychoactives illicites (SPA).

Le cannabidiol est un puissant inhibiteur des cytochromes (CYP2D6, CYP3A4, CYP2C19)[8] [9] et de la glycoprotéine P[10] (impliquée dans le transport des médicaments). Les cytochromes sont des enzymes impliquées dans le métabolisme de substrats endogènes et exogènes notamment les médicaments. Le CBD peut donc influencer l’absorption et la biodisponibilité des médicaments co-administrés.

Les interactions avec les antiépileptiques, notamment le clobazam et l’acide valproïque, sont les plus étudiées : leur utilisation en association avec le CBD peut entraîner respectivement une augmentation des concentrations de clobazam (surdosage avec risque de somnolence voire coma) et une toxicité hépatique.

Des cas d’interactions avec d’autres types de médicaments sont également recensés dans la littérature internationale.

  • L’utilisation conjointe de tacrolimus (immunosuppresseur utilisé chez les personnes ayant subies une greffe) et de CBD peut entrainer une augmentation de la toxicité du tacrolimus.[11] [12]
  • On note également une interaction avec la warfarine (Coumadine®)[13] qui est un anticoagulant oral très utilisé. L’INR des patients est augmenté : la dose de warfarine doit alors être adaptée.

Il est donc important d’éviter toute automédication par le CBD surtout lorsque l’on est sous traitement médicamenteux.

Ce risque d’interaction impose une surveillance stricte et un ajustement posologique des thérapeutiques avant la prise de CBD médicalement prescrit ou non.

Il existerait également des interactions avec les SPA : notamment entre le THC et le CBD. Dans l’étude de Jones et Pertwee en 1972, on observe une augmentation significative de la concentration de THC et de son métabolite le 7-OH-THC chez des souris prétraitées par du CBD 30 minutes plus tôt. Cette interaction pharmacocinétique n’a pas été décrite chez l’Homme.

Les données d’addictovigilance

Le centre d’addictovigilance de Paris est responsable de l’enquête nationale sur le CBD et a analysé les données de la base d’appel nationale de Drogues info service entre janvier 2016 et fin août 2018.

Un total de 164 appels a été enregistré avec un maximum d’appels en 2018. Les appelants sont majoritairement de sexe masculin, ayant une moyenne d’âge de 31 ± 11 ans (Min 16 ; Max 76). Les demandes d’information sont illustrées dans la figure 3 :

Figure 3 : Les quatre catégories de questions identifiées

Pour 60% des cas, l’appelant déclare rechercher un effet thérapeutique.

Concernant les usagers de CBD, trois groupes se détachent :

  • ceux qui recherchent une aide au sevrage de substances psychoactives (cannabis essentiellement) et/ou une substitution du cannabis,
  • ceux qui recherchent un effet anxiolytique ou antipsychotique,
  • ceux qui recherchent une antalgie (fibromyalgie, sclérose en plaque…).

Les effets ressentis par 18% des appelants concerne un effet positif dans 81% des cas (anxiolyse, sédation, soulagement de la douleur…) et un négatif dans 19% des cas (angoisse, déprime, céphalée, troubles du sommeil et vertige).

En conclusion

L’usage de CBD en France est une réalité malgré la législation. Les usagers sont en quête d’effets thérapeutiques mais ont une certaine méconnaissance des risques liés à la fois à la pureté des produits, aux interactions importantes avec les médicaments et drogues illicites, aux effets indésirables et au potentiel de dépendance peu investigué.

Références

[1] ANSM – Notice ATU Epidyolex®: https://www.ansm.sante.fr/Activites/Autorisations-temporaires-d-utilisation-ATU/Referentiel-des-ATU-nominatives/Referentiel-des-ATU-nominatives/EPIDYOLEX-nbsp-100-mg-ml-solution-buvable

[2] ANSM-Fiche Epidyolex®: https://www.ansm.sante.fr/Activites/Autorisations-temporaires-d-utilisation-ATU/Referentiel-des-ATU-nominatives/Referentiel-des-ATU-nominatives/EPIDYOLEX-nbsp-100-mg-ml-solution-buvable

[3] Alerte  : https://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Epilepsie-l-ANSM-alerte-sur-les-dangers-lies-a-l-utilisation-de-produits-contenant-du-cannabidiol-vendus-notamment-sur-Internet-Point-d-information

[4] American College of Medical Toxicology (ACMT) : case of pediatric AB-FUBINACA toxicity from a commercially produced CBD product

[5] Anonyme. Food and Drug Administration (FDA). Etude GWEP 1431. Risk assessment and risk mitigation review(s) on Epidiolex. Evaluation of Need for a REMS. Center for Drug Evaluation and Research. https://www.accessdata.fda.gov/drugsatfda_docs/nda/2018/210365Orig1s000RiskR.pdf

[6] Devinsky O, Patel AD, Thiele EA, Wong MH, Appleton R, Harden CL, Greenwood S, Morrison G, Sommerville K; GWPCARE1 Part A Study Group. Randomized, dose-ranging safety trial of cannabidiol in Dravet syndrome. Neurology. 2018A Apr3;90(14):e1204-e1211. doi: 10.1212/WNL.0000000000005254. Epub 2018A Mar 14. PubMedPMID: 29540584; PubMed Central PMCID: PMC5890607.

[7] Szaflarski JP, Bebin EM, Comi AM, Patel AD, Joshi C, Checketts D, Beal JC, Laux LC, De Boer LM, Wong MH, Lopez M, Devinsky O, Lyons PD, Zentil PP, Wechsler R; CBD EAP study group. Long-term safety and treatment effects of cannabidiol in children and adults with treatment-resistant epilepsies: Expanded access program results. Epilepsia. 2018 Aug;59(8):1540-1548. doi: 10.1111/epi.14477.

[8] Yamaori S, Okamoto Y, Yamamoto I, Watanabe K. Cannabidiol, a major phytocannabinoid, as a potent atypical inhibitor for CYP2D6. Drug Metab Dispos. 2011 Nov;39(11):2049-56.

[9] Jiang R, Yamaori S, Okamoto Y, Yamamoto I, Watanabe K. Cannabidiol is a potent inhibitor of the catalytic activity of cytochrome P450 2C19. Drug Metab Pharmacokinet. 2013;28(4):332-8.

[10] Lucas CJ, Galettis P, Schneider J The pharmacokinetics and the pharmacodynamics of cannabinoids. Br J Clin Pharmacol. 2018 Jul 12.

[11] Epilepsy Behav Case Rep. 2017 Oct 12;9:10-11. doi: 10.1016/j.ebcr.2017.10.001. eCollection 2018.

An interaction between warfarin and cannabidiol, a case report.

Grayson L1, Vines B1, Nichol K2, Szaflarski JP1; UAB CBD Program.

[12] Epilepsy Behav Case Rep. 2017 Oct 12;9:10-11. doi: 10.1016/j.ebcr.2017.10.001. eCollection 2018.

An interaction between warfarin and cannabidiol, a case report.

Grayson L1, Vines B1, Nichol K2, Szaflarski JP1; UAB CBD Program.

[13] Epilepsy Behav Case Rep. 2017 Oct 12;9:10-11. doi: 10.1016/j.ebcr.2017.10.001. eCollection 2018.

An interaction between warfarin and cannabidiol, a case report.

Grayson L1, Vines B1, Nichol K2, Szaflarski JP1; UAB CBD Program.