CANNABIS ET CANNABIDIOL : ÉLÉMENTS DE COMPRÉHENSION, DR SARAH LEJCZAK , 2019

CANNABIS ET CANNABIDIOL : Éléments de Compréhension

Dr Sarah Lejczak

La Lettre du RESPADD, 35, avril 2019

 

Depuis 5000 ans, le cannabis ruderalids, sativa ou indica est utilisé dans la pharmacopée humaine de
manière informelle pour ses différentes propriétés antihémétiques, antiépileptiques, antispastiques,
antalgiques, anxiolytiques, antihypertensives, etc. (1). Suite à son introduction dans l’arsenal pharmaceutique moderne au XIXème siècle et les dérives d’utilisation récréative au cours du XXème siècle, son utilisation a été interdite et reste très controversée de nos jours.

Des extraits cannabinoïdes (2) (Delta-9-tetrahydrocannabinol (Δ-9-THC), cannabidiol (CBD) et cannabinol (CBN) majoritairement) de la plante ou fabriqués synthétiquement sont utilisés depuis 1985 en tant que médicaments. En plus de ces alcaloïdes, on recense plus de 400 autres composés répartis en 18 classes chimiques différentes (3) dont les effets ne sont pas connus (4). Quatre médicaments à base de dérivés phyto-cannabinoïdes ont actuellement en 2019 des AMM à travers le monde :
•Cesamet® (nabilone) depuis 1982 : nausée/vomissement/ cachexie sous chimiothérapie ou trithérapie.
•Marinol® (dronabinol) depuis 1985 : nausée/vomissement/ cachexie sous chimiothérapie ou trithérapie et douleurs réfractaires.
•Sativex® (nabiximols) depuis 2010 : douleur et spasticité dans la SEP.
•Epidiolex® (cannabidiol) depuis 2018 : épilepsie réfractaire chez l’enfant.

Plusieurs produits sont en cours d’essais thérapeutiques tel que le Namisol® (nouvelle galénique de pur THC per os) et Arvisol® (pur CBD) produit par Echo Pharmaceuticals qui a breveté un nouveau procédé de délivrance des cannabinoïdes (Alitra™) (5). Des huiles de cannabinoïdes concentrées sont également en cours d’étude, majoritairement en Israël.

L’industrie pharmaceutique développe un arsenal thérapeutique à base de phyto-cannabinoïdes naturels (plants sélectionnés) ou de synthèse, concurrençant la vente de C. sativa à inhaler. Certains plants génétiquement sélectionnés peuvent contenir jusque 30 % (Bedrocan) de Δ-9-THC contre en moyenne 5 % sur le marché illégal (légalement les plants à usage récréatif ne peuvent pas dépasser 15 % de THC). Les plants de C. sativa sélectionnés avec des teneurs en CBD et THC connus sont très réglementés avec un prix unique.

Dans 5 états américains, le cannabis médical peut être prescrit pour réduire l’anxiété et les troubles du sommeil chez les patients atteints d’état de stress post traumatique (ESPT ou PTSD : post-traumatic stress disorder) défini par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou DSM-IV (référentiel mondial de psychiatrie 4ème version). Une étude (6) parue en 2013 regroupa 170 patients d’un dispensaire de San Francisco qui utilisaient le cannabis pour des problèmes d’anxiété (62,7 %), pour des douleurs chroniques (55,6 %), du stress (47,9 %), de l’insomnie (47,9 %) et de la dépression (41,4 %). Parmi les 170 patients, 75 d’entre eux souffraient de PTSD (score au questionnaire spécifique de 17 items supérieur à 30 points).

Plusieurs équipes scientifiques ont démontré leurs propriétés. Le système endocannabinoïde qui est étudié depuis 25 ans a un rôle clé dans la physiologie de la douleur et l’homéostasie globale des mammifères. Les récepteurs cannabinoïdes de type 1 (CB1), découverts en 1988, sont couplés aux protéines G avec 7 domaines transmembranaires interagissant avec des canaux potassiques et calciques
impliqués dans la cascades des MAP-kinases (G0/i ) (7) servant à la différenciation et la survie neuronale. Les récepteurs cannabinoïdes de type 2 (CB2) sont majoritairement retrouvés dans les cellules et tissus immunitaires, qui activés, peuvent avoir une influence sur l’activité inflammatoire et immunosuppressive (3).

En 2019, aux USA, 33 états sur les 51 autorisent le cannabis médical inhalé ou certains cannabinoïdes extraits ou de synthèse sous forme de médicaments (dronabinol, nabiximols, nabilone et cannabidiol) alors que la loi fédérale l’interdit, produisant un vide juridique problématique pour des milliers de patients. La possession des médicaments contenant des cannabinoïdes ou sa forme séchée (cannabis) est toujours illégale sans prescription dans les états qui l’autorisent et complétement illégale dans les autres ne l’autorisant pas.

En Europe, la législation sur le cannabis est très différente entre les 28 pays. Selon le rapport 2017 de l’European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA) (8), aucun pays européen n’autorise officiellement le cannabis médical à fumer et 18 pays sur les 28 de l’Union Européenne autorisent les médicaments contenant des dérivés phytocannabinoïdes, ainsi que leur détention pour un usage personnel.

En France, depuis le 5 juin 2013 un décret au Journal Officiel Français permet “la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché à des médicaments contenant du cannabis ou ses dérivés”. Le Marinol® (dronabinol) est le seul délivré, par une Autorisation Temporaire d’Utilisation nominative (ATUn), pour des douleurs réfractaires neuropathiques d’origine centrale depuis 2006 par les algologues des centres de la douleur ou les neurologues et uniquement en pharmacie hospitalière. Depuis 2006, 191 patients dans notre enquête (sur les 377 indexés par l’Agence Nationale du Médicament (ANSM) ont été traités par dronabinol et 90 d’entre eux l’étaient toujours en 2017, répartis dans 12 régions métropolitaines (en cours de publication dans la revue Neurologique avec les détails statistiques).

La moitié des patients souffraient de Sclérose en Plaques (SEP) ou d’autres maladies entraînant des douleurs neuropathiques centrales et un seul était atteint de cancer. La majorité des patients ont ressenti une amélioration de leurs douleurs comprise entre 30 et 50 %. Près d’un quarts des patients ont rapporté une amélioration de leurs douleurs supérieure Seulement 36 patients avaient moins de 30 % de diminution de leurs douleurs. Donc près de 80 % ont ressenti une amélioration d’au moins 30 % de leurs sensations douloureuses.

La méta-analyse parue dans la revue JAMA le 12 avril 2016 (9) a répertorié depuis le commencement jusqu’en avril 2015 tous les essais cliniques randomisés utilisant du cannabis médical quelle que soit la
galénique et quelle que soit son indication.

Les auteurs ont ainsi répertorié que le cannabis a été testé pour lutter contre les nausées/ vomissements sous chimiothérapies, pour stimuler l’appétit chez les patients atteints de VIH ou de SIDA, pour soulager les douleurs chroniques et/ou la spasticité induite par la SEP ou la para/tétraplégie, pour améliorer la dépression, l’anxiété, les troubles du sommeil ou la psychose, pour diminuer la tension oculaire dans le glaucome et pour essayer de soigner le syndrome de Gilles de la Tourette.

Une étude internationale (10), parue en 2014, réalisée par le Global Cannabis Cultivation Research Consortium (GCCRC) en Australie, Belgique, Allemagne, Danemark, Finlande et Royaume-Uni a regroupé 5313 cultivateurs illégaux de C. sativa pour raisons médicales (entre 2012 et 2013). Le diagnostic médical le plus répandu pour lequel les patients cultivent du cannabis est la SEP, suivi par la fibromyalgie. Cependant, dans la majorité des cas, le médecin traitant n’est pas averti que son patient utilise du cannabis en automédication et celui-ci n’ose pas lui en parler.

On trouve très peu d’études réalisées en dehors de l’Amérique du Nord. Il n’y a aucune donnée statistique en France sur l’utilisation de C. sativa ou de cannabinoïdes à visée thérapeutique en France.

Depuis plusieurs années, la mortalité par overdose d’opioïdes prescrits légalement a fortement augmentée aux USA. L’étude d’une équipe de recherche médicale de Philadelphie parue en août 2014 (11) a fait le lien entre la légalisation du cannabis médical dans les différents états et le nombre d’overdoses non volontaires par opioïdes par an dans ces mêmes états américains entre 1999 et 2010. La conclusion des auteurs est que les états autorisant le cannabis médical ont vu les décès par overdoses d’opioïdes fortement diminuer dès la première année de légalisation avec une moyenne de 24,8 %.

En 2015, une étude (12) de médecine générale parue dans le journal américain de psychiatrie s’est penchée sur la différence entre les utilisateurs de cannabis médical et ceux l’utilisant à des fins récréatives. 868 participants furent recrutés dans des cabinets de ville de l’état de Washington entre 2009 et 2012 (qui autorise actuellement le cannabis médical et récréatif). 131 personnes fumaient de la marijuana pour leurs problèmes de santé (49 d’entre eux avaient une prescription médicale de leur généraliste), 525 en fumaient pour ses effets euphorisants et 212 l’utilisaient avec d’autres drogues. Globalement, les auteurs montrèrent quelques différences entre les 2 groupes d’utilisateurs.

En effet, ceux utilisant le cannabis à des fins médicales avaient moins de problèmes d’addiction (autres drogues, alcoolisme, médicamenteuse) mais plus de problème de santé (douleurs, spasticité). Les auteurs ont également fait le parallèle avec le fait que, dans les états où l’utilisation médicale du cannabis était autorisée, il y avait moins de prescription d’opioïdes. Les auteurs soulignaient la nécessité de former les médecins généralistes à la prescription de cannabis à l’instar des opioïdes et benzodiazépines pourvoyeurs d’overdoses, d’addiction et d’effets secondaires.

En 1998, un sondage téléphonique fut réalisé dans la province de l’Ontario au Canada. Sur 2508 personnes interrogées, 49 personnes utilisaient du cannabis pour une raison médicale (85 % pour de la douleur ou des nausées) et 179 de manière récréative. La conclusion des auteurs était que 2 % de leur échantillon total pouvaient prétendre de manière légitime à l’utilisation médicale de cannabis, les autres consommateurs utilisant cette plante pour ses effets psychotropes à des fins récréatives (13).

En 2014, le Dr Juurlink (Toronto) a publié une tribune (14) dans le Canadian Medical Association Journal sur la difficulté que peut rencontrer un médecin généraliste à faire sa première prescription de cannabis. Il explique la culpabilité que de nombreux médecins ressentent à prescrire du cannabis encore considéré uniquement comme une drogue dans beaucoup de pays. Il rappelle que de nombreux médicaments tels que les opioïdes peuvent être mal tolérés et comportent plus de risques que le cannabis, qui doit être considéré comme une alternative thérapeutique, voire parfois dans certains cas « comme la seule bonne prescription ».

Dans la revue de la Cochrane parue en 2018(15), la plus longue étude sur les cannabinoïdes s’étalait sur 32 semaines, et aucune n’avait une qualité suffisante pour prouver une efficacité dans les douleurs chroniques chez l’adulte. Pour contourner la loi en France, un certain pourcentage de patients achètent du CBD sous différentes galéniques, nous n’avons aucunes données sur cette consommation, ses effets et sur la provenance de ces produits.

En février 2019, on référence 2272 articles dans PubMed sur le cannabidiol dont 122 sont des essais cliniques sur différentes pathologies(16,17) et 178 sont en cours actuellement (www.clinicaltrials.com) dont 4 sur les mouvements anormaux dans la maladie de Parkinson, une étude sur l’impact dans l’anxiété (18) et une pour le traitement de l’addiction aux opioïdes (18,19).

L’utilisation du cannabidiol dans l’épilepsie a débuté il y a plus de 40 ans (3 études cliniques en 1974 (20), 1980 et 1981 (21)) puis abandonné pour des raisons politiques.

Cette molécule est depuis remise sur la scène en 2014 (22) avec une cohorte d’enfants à l’épilepsie réfractaire pour laquelle de très bons résultats ont été prouvés, ce qui a engendré une nouvelle AMM en 2018 (Epidiolex®).

L’utilisation médicale du cannabis et de médicaments à base de cannabinoïdes de manière officielle dans certains pays date d’une vingtaine d’années. Le recul qu’ont ces pays sur cette pratique impose la prudence de cette prescription qui doit se faire dans un cadre réglementaire bien défini. Cependant, de nombreuses études montrent que le cannabis, utilisé à bon escient, peut être une alternative thérapeutique notamment aux opioïdes qui ont de nombreux effets secondaires et dont le surdosage peut entraîner un décès.

La prescription de cannabinoïdes (naturels ou synthétiques) pour les douleurs chroniques reste une alternative et un traitement de 2 ou 3ème ligne (Recommandations internationales de 2015 basées sur la classification GRADE pour le traitement des douleurs neuropathiques (23)).

Plusieurs milliers de patients à travers le monde sont traités par cannabis et leur surveillance sur plusieurs années permettra un recul suffisant à l’OMS pour émettre des nouvelles recommandations d’utilisation.

Le manque d’informations des professionnels de santé et la législation sont un frein à l’utilisation de C. sativa de manière médicale et encadrée notamment en Europe et surtout en France.

En Amérique du Nord, tout médecin diplômé peut prescrire des cannabinoïdes en remplissant un simple formulaire en ligne. Les autorités de santé canadiennes ont rédigé une documentation très complète à destination des professionnels de santé (24) sur les formalités de prescription, la documentation scientifique et les informations à donner au patient sur le traitement par cannabinoïdes.

En France, aucune documentation officielle de l’HAS n’est disponible et les professionnels doivent faire leurs propres recherches afin de trouver des informations spécifiques.

La France est l’un des pays au monde avec la plus forte consommation illégale de cannabis malgré (8) une des plus fortes répressions judiciaires pour sa détention. Les thérapeutiques à base de cannabis nécessiteraient des études cliniques en France pour différentes indications afin d’être utilisées par les patients et les médecins dans de bonnes conditions. Une information spécifique des patients et une formation des professionnels de santé seront nécessaire afin d’éviter des prescriptions déraisonnées.

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