Dévoilé avant même la fin du cycle des auditions le mercredi 19 juin, le projet final d’expérimentation du cannabis à visée thérapeutique a été dans l’ensemble favorablement accueilli par les associations de patients. Elles étaient invitées à commenter les propositions du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) en charge du dossier lors d’une dernière réunion qui s’est déroulée le 26 juin. Le cadre définitif retenu reprend en majorité la première mouture du projet présenté la semaine dernière. Il doit encore être validé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Direction générale de la santé (DGS). «Bravo pour votre courage et votre détermination. C’est un temps que nous attendions depuis longtemps, a déclaré visiblement émue Mado Gilanton, présidente de l’association Apaiser S&C et victime de syringomyélie (une maladie de la moelle épinière). Nous parlons bien de cannabis à visée thérapeutique et rien d’autre en ce qui nous concerne […]. Nous sommes très satisfaits que la mise à disposition du médicament se fasse […] sous des formes variées et sans voie fumée.» Cette retraitée de 65 ans salue également l’élargissement des indications aux problèmes de spasticité (spasmes musculaires) et un calendrier qui soudain s’accélère.

«Les réponses sont adaptées»

L’indication du traitement sera réservée aux médecins exerçant dans les centres de référence des indications retenues pour l’expérimentation. Sont concernées : les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsies pharmacorésistantes, certains symptômes rebelles en oncologie (nausées, vomissements, anorexie…), les situations palliatives et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central. Pour Fabienne Lopez du Collectif Alternative pour le cannabis à visée thérapeutique (ACT), victime d’un cancer du sein il y a dix ans et actuellement en rémission, «les réponses sont adaptées et la palette est intéressante» pour commencer une expérimentation, mais elle regrette toutefois «une liste d’indications trop restrictive».

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Le président du CSST, Nicolas Authier, assure, lui, la cohérence des indications retenues : «Nous avons pris le soin de ne pas indiquer des pathologies mais bien des symptômes et des syndromes. Comme par exemple la spasticité douloureuse. La sclérose en plaques est un des cas retenus, mais il y a d’autres formes de spasticité, lorsqu’il y a des atteintes au système nerveux central comme après un AVC. Le principe est le même pour les douleurs neuropathiques qui ont de multiples causes. Elles peuvent être liées à des thérapies anticancéreuses ou au traitement du VIH. Elles peuvent entrer dans le cadre à partir du moment où la douleur est caractérisée comme neuropathique.»

Les patients craignent toutefois un retard dans la décision politique de modifier l’article R 513-86 du Code de la santé qui régit l’utilisation du cannabis, ce qui repousserait la mise en place de l’expérimentation. Ils redoutent également un manque d’adhésion des médecins et des pharmaciens par «méconnaissance» ou «idéologie». Seuls les médecins et les centres de référence volontaires pourront participer à l’expérimentation. Ils devront suivre une formation préalable obligatoire et tenir un registre national électronique de suivi des patients.

La France en retard

En 2014, quelque 170 000 consommateurs de cannabis ont été interpellés. Selon le collectif ACT, 10 à 15% d’entre eux sont des usagers médicaux. «La mise en place d’un cadre strict dès le départ empêche une généralisation dépassant ce projet. De nombreux pays européens ont préféré commencer par couvrir un champ important d’indications, quitte à en réduire la circonférence ensuite au regard des données locales recueillies», explique Béchir Bouderbala, coordinateur du collectif ACT.

Les différents membres du comité scientifique seraient déjà en contact avec les professionnels de santé pour promouvoir l’expérimentation et prendre la température dans leurs domaines d’expertise. Prévue pour deux ans à partir de 2020, cette phase d’expérimentation pourrait permettre à la France de rattraper son retard conséquent. Quelque 21 pays européens sur 28 autorisent déjà le cannabis médical en Europe. Dans l’Hexagone, on estime à 1,4 million le nombre d’usagers réguliers du cannabis et 700 000 usagers quotidiens. Un tiers d’entre eux pour des raisons thérapeutiques.

Charles Delouche