PROPOSITION DE LOI relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis, Assemblée Nationale, France, 2019

N° 2099
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juillet 2019.

 

PROPOSITION DE LOI
relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

François-Michel LAMBERT, Delphine BAGARRY, Ugo BERNALICIS, Annie CHAPELIER, Stéphane CLAIREAUX, Jean-Michel CLÉMENT, Éric COQUEREL, Jeanine DUBIÉ, Frédérique DUMAS, Caroline FIAT, Caroline JANVIER, Régis JUANICO, Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Danièle OBONO, Sébastien NADOT, Sylvia PINEL, Loïc PRUD’HOMME, Bénédicte TAURINE, François PUPPONI, Pierre-Alain RAPHAN, Cécile RILHAC, Michèle VICTORY,

députés.

 

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

Toutes les études le confirment, la politique française de lutte contre le cannabis, essentiellement répressive, n’a pas permis de juguler les trafics et de faire diminuer la consommation. Pire, la demande est en augmentation constante, l’offre se développe, se diversifie et on ne constate aucune efficacité dans les réponses pénales apportées comme dans les dispositifs de prévention et de lutte contre les conduites addictives mis en place par les pouvoirs publics, notamment en direction de la jeunesse.

Depuis près de cinquante ans, notre pays a fait de la répression le fil conducteur de sa politique de lutte contre le cannabis, à l’inverse de nombreuses approches alternatives développées dans le monde. Ces approches sont pragmatiques et font les constats de l’échec des politiques répressives dans un contexte d’évolution des pratiques et des moeurs. Si ces approches ont pour objectif principal d’assécher les trafics et de lutter contre les criminalités organisées, elles ont aussi des fondements économiques solides et partent du constat que les gains considérables générés par les trafics ne servent qu’à alimenter les réseaux de trafiquants et non les États.

Le cannabis est un produit stupéfiant qui induit des conduites à risque comme l’alcool ou le tabac, il n’est pas question de le nier, mais il existe de grandes différences entre une consommation raisonnable, récréative, occasionnelle et une consommation moins maitrisée, plus compulsive, plus addictive qui s’assimile à la toxicomanie.

En France, la prohibition reste pourtant la règle absolue et le consommateur est d’abord considéré comme un délinquant, quel que soit son âge, son type de consommation et son rapport au produit. Cette hypocrisie est de plus en plus mal comprise et décrédibilise l’action des pouvoirs publics.

Les raisons de l’échec des politiques de prohibition du cannabis sont nombreuses :

– la prohibition sanctionne des usagers qui n’ont jamais été aussi nombreux. Le baromètre 2017 de santé publique France réalisé avec l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) révèle que notre pays compte 5 millions de consommateurs de cannabis dont 700 000 usagers quotidiens ;

– l’entrée des adolescents français dans la consommation est la plus jeune d’Europe (source OFDT) ;

– le marché du cannabis atteint un volume consommé d’environ 154 tonnes pour un chiffre d’affaires estimé à 1,12 milliards d’euros ;

– le prix médian de la résine de cannabis est de 7 euros contre 11 euros pour l’herbe de cannabis avec une appétence constante pour l’herbe et une demande de produits de qualité (source OFDT) ;

– la répression n’a pas permis d’enrayer les trafics et les consommations et elle sature toute la chaine pénale. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 164 000 personnes ont été mises en cause en 2017 pour un usage de cannabis par les autorités, contre 12 000 vingt ans plus tôt ;

– elle mobilise des moyens publics considérables qui pourraient être renforcés pour lutter contre d’autres trafics. Plus de la moitié de la part proactive de l’activité policière est consacrée à la répression de l’usage de drogues, laquelle concerne à 90 % le cannabis ;

– elle participe à une politique du chiffre qui fabrique des statistiques de répression de la délinquance sans régler les questions de fond ;

– elle encourage une économie parallèle source de violence, de délinquance, de stigmatisation et de rupture avec une partie de la jeunesse ;

– elle se caractérise par une grande faiblesse de sa politique de santé, de prévention et d’accompagnement à l’attention des usagers ;

– elle met sur un marché parallèle des produits ne faisant l’objet d’aucun contrôle sanitaire et oblige les populations les plus vulnérables à rester dans la clandestinité et sans s’orienter vers les soins ;

– elle stigmatise hypocritement l’usager qui reste un délinquant, éventuellement un malade, alors que la société a évolué dans ses moeurs et ses pratiques ;

– elle prive notre pays de recettes fiscales, de débouchés économiques et d’emplois, notamment agricoles. En 2014, le think tank Terra Nova avait calculé que la régulation du marché du cannabis par l’État serait susceptible de rapporter 1,8 milliard d’euros de recettes fiscales ;

– un hectare de cannabis absorbe autant de CO² qu’un hectare de forêt.

Les Français sont désormais convaincus que les politiques publiques actuelles de répression ne fonctionnent pas.

S’ils reconnaissent que le cannabis constitue un enjeu de santé publique, ils portent un jugement nuancé sur la dangerosité du produit, qu’ils classent dans la même catégorie que l’alcool et considèrent moins dangereux que le tabac. Les Français sont par conséquent prêts à envisager une politique alternative à condition qu’elle s’accompagne d’une régulation et d’un encadrement rigoureux. 50 % de la population se déclare en faveur d’une régulation du marché du cannabis (IFOP Terra Nova juin 2018).

Il est temps de traiter la question avec pragmatisme en tenant compte de la réalité de la consommation, de l’évolution de la société et en évitant les postures morales qui empêchent l’ouverture d’un vrai débat sur la question.

Cette proposition propose de passer d’une politique prohibitionniste à une politique d’encadrement régulé de la production, de la consommation et de la vente conjuguée à une politique de prévention en termes de conduite à risque et de santé publique, notamment en direction des plus jeunes et des populations les plus vulnérables. Elle met l’accent sur la protection des mineurs et l’accompagnement sanitaire et social des comportements à risques et des conduites addictives.

La légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis du cannabis et des produits dérivés du cannabis à des fins récréatives semble la solution la plus à même de répondre aux enjeux sanitaires, sociétaux et sécuritaires tout en permettant de bénéficier de la manne économique représentée par la légalisation du cannabis.

La création d’une société nationale, la société d’exploitation du cannabis (SECA), permettra de réguler la production et la vente au détail tout en contrôlant la consommation.

Dans l’objectif de développer une véritable filière française du cannabis, complémentaire de la filière créée par la libéralisation du cannabis thérapeutique, la production du cannabis sera confiée aux agriculteurs et la vente aux débitants de tabac.

La légalisation contrôlée de la production et de la vente de cannabis doit produire de la richesse et se traduire par des ressources conséquentes pour les finances publiques et des économies de moyens. Ces ressources seront pour partie consacrées aux politiques de prévention et de réduction des risques, notamment en direction des jeunes et des populations vulnérables.

Cette proposition de loi a aussi pour objectif de libérer aussi une part importante des moyens de la police et de la justice au bénéfice d’autres missions de service public.

Elle entend enfin réduire la criminalité liée au trafic et faire baisser les tensions et les discriminations sociales auxquelles le trafic et la consommation sont souvent associés.

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