Marché du cannabis thérapeutique en France : les grands acteurs étrangers dans les starting-blocks, RESPADD, Actualités des Addictions n°102, septembre 2019

Marché du cannabis thérapeutique en France : les grands acteurs étrangers dans les starting-blocks

RESPADD,  Actualités des Addictions n°102, septembre 2019

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L’expérimentation du cannabis thérapeutique en France, qui doit débuter d’ici la fin de l’année, attire de grands acteurs étrangers spécialisés qui tentent de se positionner au plus tôt sur ce marché pouvant concerner jusqu’à 2,3 millions de patients, selon le Syndicat professionnel du chanvre (SPC) français.

Le lancement de cette expérimentation a été entériné en juillet par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), sur la base d’un avis rendu par un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) sur la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique (cf dépêche du 11/07/2019 à 14:46).

Cinq indications ont été retenues pour cette expérimentation :

  • les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles
  • certaines formes d’épilepsie pharmacorésistantes
  • certains symptômes rebelles en oncologie tels que les nausées, les vomissements et l’anorexie
  • les situations palliatives
  • la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques (SEP) ou des autres pathologies du système nerveux central (SNC).

Selon le SPC, pour ces cinq indications, le nombre de patients susceptibles de bénéficier du cannabis thérapeutique est estimé à 2,3 millions, dont 1,5 million dans les douleurs réfractaires aux thérapies, 90.000 dans l’épilepsie, près de 400.000 pour les soins de support en oncologie, 311.000 pour les situations palliatives et 110.000 dans la SEP.

A partir de cette estimation, le syndicat calcule qu’il sera nécessaire de produire entre 70 et 460 tonnes par mois de fleurs séchées de cannabis.

Le calendrier de l’expérimentation prévoit quatre phases : 6 mois de mise en place, de juillet à décembre prochain, puis 6 mois d’inclusion des patients, 6 mois de suivi des patients avec remise d’un rapport intermédiaire et 6 mois d’analyse des données et de remise du rapport définitif du CSST à l’ANSM.

Pour le reste, les modalités de l’expérimentation n’ont pas encore été avalisées, mais les discussions entre l’ANSM et le ministère des solidarités et de la santé se feront sur la base du cadre recommandé par le CSST. Celui-ci prévoit la mise à disposition de médicaments à base de fleurs séchées de cannabis et d’extraits à spectre complet, sous des formes à effet immédiat (formes sublinguales et inhalées) et à effet prolongé (solution buvable et capsules d’huile). Il recommande également que cinq ratios tétrahydrocannabinol (THC)/cannabidiol (CBD) -deux principes actifs du cannabis- soient disponibles.

Les acteurs se préparent à un appel d’offres

Le CSST n’a toutefois pas fait de recommandation sur le mode de sélection des fournisseurs des produits, dont la dispensation se fera en ville et à l’hôpital.

“Pendant la phase d’expérimentation, il est impossible de partir sur une production nationale de cannabis, cela prendrait trop de temps”, a commenté auprès d’APMnews Eveline Van Keymeulen, avocate spécialisée dans les sciences de la vie au cabinet Allen & Overy, qui a représenté l’américain Colombia Care lors des auditions réalisées par le CSST. “Le plus logique serait donc d’importer des produits en faisant appel à des acteurs étrangers. On ne sait pas encore comment cela fonctionnera en pratique, mais le lancement d’un appel d’offres est le plus probable”, a-t-elle estimé.

C’est par ce biais que plusieurs acteurs internationaux comptent se faire une place sur le marché du cannabis thérapeutique français. Lors des auditions du CSST, sept industriels étrangers ont été auditionnés : les canadiens Aurora Cannabis et Canopy Growth, le britannique Emmac, les américains Tilray et Columbia Care, le néerlandais Bedrocan et le colombien Clever Leaves. Tous ont affiché leur volonté d’intégrer l’expérimentation française et affirmé être capables d’importer des produits dès le lancement.

“Les entreprises s’intéressant à ce marché sont majoritairement des acteurs internationaux, dont beaucoup de canadiens, où le marché a pris de l’avance. Beaucoup sont déjà implantés en Europe, en Allemagne, en Italie ou aux Pays-Bas et certains y possèdent des sites de production”, a expliqué Eveline Van Keymeulen, qui dit accompagner plusieurs clients dans leur installation sur ce marché en France. Selon elle, les laboratoires généralistes seraient “plus prudents” et attendent que les contours juridiques soient définitivement établis pour décider ou non de se lancer.

Pour maximiser leurs chances et malgré les incertitudes, certains industriels du cannabis thérapeutique ont établi des équipes en France. Clever Leaves a ainsi recruté une représentante en France, Noëlle Gousset, et Tilray a récemment nommé la francophone Dounia Farajallah en tant que responsable de l’accès au marché (Pharmacist Market Access Manager en anglais), dans le but notamment de “monter des études cliniques avec des centres de recherche et université en France”, a-t-elle fait savoir devant l’ANSM.

Le canadien Aurora a pour sa part constitué une équipe de quatre personnes pour “suivre les travaux que les autorités françaises mènent, afin de se préparer à cette expérimentation”, a expliqué à APMnews Hélène Moore, directrice générale France.

Emmac a mis un pied en France avec le rachat en juin de la société Green Leaf, spécialisée dans la fabrication de produits alimentaires à base de chanvre. La société, qui emploie une centaine de salariés en Europe, compte désormais cinq personnes en France, dont deux recrutées en septembre. Leur mission consiste notamment à “échanger avec les autorités françaises sur notre connaissance du marché européen”, a expliqué François-Xavier Nottin, directeur France d’Emmac, à APMnews. “Les autorités sont sensibles au fait que l’on ait des équipes locales, qui connaissent les particularités réglementaires du pays”, a-t-il constaté.

Pour François-Xavier Nottin et Eveline Van Keymeulen, il est très probable que plusieurs fournisseurs soient retenus pour l’expérimentation, au vu de la variété de dosages et de formes galéniques recommandées par le CSST. Les incertitudes demeurent toutefois sur le nombre de patients qui seront inclus dans l’expérimentation et les critères prioritaires pris en compte pour le choix des fournisseurs.

“On peut s’attendre à ce que le critère du prix soit déterminant”, a indiqué Eveline Van Keymeulen.

Si les acteurs étrangers seront avantagés pour cette phase d’expérimentation, il est probable que la production locale soit favorisée dans un second temps, si le cannabis thérapeutique est pérennisé.

Cela a été le cas en Allemagne, où un appel d’offres a été lancé en avril pour une production nationale. Il était composé de 13 lots, remportés par les canadiens Aphria et Aurora, ainsi que par l’allemand Demecan. Aux Pays-Bas, seul le local Bedrocan dispose des droits de production et de distribution du cannabis thérapeutique. L’Italie a pour sa part choisi un modèle de monopole étatique, complété par de l’importation : Aurora a remporté en juillet un appel d’offres pour l’importation de 400 kilos de cannabis thérapeutique lors des deux prochaines années.

Les Français trouveront-ils leur place sur le futur marché du cannabis thérapeutique ? C’est ce qu’espère Eric Correia, président de la communauté d’agglomération du Grand Guéret, qui souhaite créer une filière de cannabis thérapeutique dans la Creuse. “Mon objectif n’est pas de remplacer Sanofi et Merck & Co par Aurora ou Canopy, mais par des acteurs nationaux. Les étrangers sont en train de phagocyter le marché en Europe”, a-t-il regretté auprès d’APMnews. Il affirme pouvoir trouver rapidement 2 millions à 4 millions d’euros pour financer la création de 3.000 m² de serres “dès que l’on aura l’autorisation de produire en France”.

Le collège de producteurs Interchanvre, le laboratoire spécialisé dans l’importation et la distribution de médicaments à destination des hôpitaux Intsel Chimos ainsi que le groupe coopératif agricole Invivo ont également été auditionnés par le CSST et se disent prêts à démarrer une production française de cannabis à usage thérapeutique.

D’après APM.