ENTRETIEN : L’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants, Renaud COLSON, Recueil Dalloz – 1er octobre 2020 – n° 33

ENTRETIEN : L’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants,

Renaud COLSON

Recueil Dalloz – 1er octobre 2020 – n° 33

 

Généralisé à l’ensemble du territoire, le nouveau dispositif de sanction doit permettre d’injecter une dose d’efficience dans la répression des consommateurs de drogues.

En quoi consiste l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiant prévue par les articles 495-17 et suivants du code de procédure pénale ?

L’usage de stupéfiants est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. Le dispositif de l’amende forfaitaire permet, sans remettre en cause la
dimension délictuelle de cette infraction, d’éteindre l’action publique en amont du passage devant un magistrat en échange du versement d’une somme de 200 € (majorée à 450 € en cas de paiement tardif).

Exclusivement applicable aux personnes majeures, la mesure requiert l’accord du mis en cause et s’apparente en cela à une transaction. La procédure est conditionnée à la décision des forces de l’ordre qui peuvent préférer renvoyer l’affaire devant le parquet. La procédure de l’amende forfaitaire est entièrement dématérialisée. Réservé aux cas de constatation flagrante du délit, l’établissement du procès-verbal électronique est opéré sur la voie publique, à partir d’un terminal mobile. L’officier de police judiciaire notifie verbalement la reconnaissance de l’infraction au contrevenant et renseigne, sur la tablette numérique, l’identité de ce dernier et la nature des stupéfiants et du matériel saisis.

Assorties de la signature numérique du mis en cause, ces données sont transmises au Centre national de traitement (CNT) de Rennes et alimentent le fichier du « Système de contrôle automatisé » (CA), le fichier du « Traitement des antécédents judiciaires » (TAJ) et le casier judiciaire.

Quelle est la fonction de l’amende forfaitaire délictuelle ?

Quels effets peut-on en attendre ?

L’usage de stupéfiants est à l’origine d’un contentieux de masse qui occupe une part importante de l’activité des forces de l’ordre et des juridictions. Dans plus d’un cas sur deux, ce type d’affaire se solde par une mesure alternative aux poursuites, le plus souvent un simple rappel à la loi. L’amende forfaitaire délictuelle a pour objectif de réduire les moyens en temps et en effectifs consacrés au traitement de cette « délinquance », tout en renforçant la répression, bref de rendre celle-ci plus efficiente. La systématisation de la sanction n’ayant pas fait ses preuves au cours des dernières années, on peut néanmoins s’interroger sur l’effet dissuasif de la nouvelle mesure. Le nombre de décisions de justice pour usage de stupéfiants a déjà été multiplié par 10 en 15 ans, sans effet observé sur les niveaux de consommation.

La Cour des comptes remarquait déjà, dans un rapport de 2011, que l’action des services de sécurité publique en matière de stupéfiants se caractérise « par la priorité accordée, dans une approche essentiellement statistique, à la répression de la consommation ». Expression d’une gouvernance par les nombres qui colonise la politique de lutte contre la drogue, ce tropisme répressif risque de s’accentuer avec la généralisation de la nouvelle amende. Celle-ci épargnera les millions de consommateurs bien insérés socialement qui se font livrés et consomment leur produit dans des lieux privés. Elle constitue, en revanche, une arme répressive originale, portion de ius puniendi confiée aux forces de l’ordre qui pourront ainsi accroître leur emprise sur leur clientèle d’habitude. Susceptibles d’être ajustés par les parquets en fonction des circonstances locales, les seuils maximums établis par la Chancellerie pour la mise en oeuvre de l’amende forfaitaire sont relativement élevés : jusqu’à 50 grammes de cannabis (l’équivalent de 200 « joints »), 5 grammes de cocaïne ou de MDMA. La nouvelle procédure pourrait ainsi, paradoxalement, donner lieu à la dépénalisation de facto de comportements qui, au-delà du simple usage, tombent théoriquement sous le coup des incriminations de détention, offre et cession de stupéfiants.

Quoiqu’en dise le premier ministre, qui y voit un moyen de « lutter contre les points de vente qui gangrènent les quartiers », l’amende forfaitaire ainsi appliquée ne sera d’aucune utilité dans la lutte contre les trafics. Le recours à cette mesure exclut d’ailleurs la réalisation d’actes d’enquête complémentaires.

Quel jugement porter sur cette réforme ?

La généralisation de l’amende forfaitaire illustre l’abandon de toute ambition sanitaire dans le traitement, désormais essentiellement punitif, réservé aux usagers de stupéfiants. Selon la Direction des affaires criminelles et des grâces, ce sont aux forces de l’ordre d’établir si la personne mise en cause présente « des signes d’addiction » afin d’écarter, le cas échéant, le recours à l’amende au profit d’une enquête permettant au parquet de  déterminer une réponse pénale plus adaptée. Autant dire que le soin passe désormais au second plan.

Ce durcissement répressif fait peu de cas des conclusions du Conseil de l’Union européenne qui, en 2018, invitaient les États membres à favoriser les « solutions de remplacement à l’imposition de sanctions » pour les consommateurs de stupéfiants et à promouvoir mesures éducatives et réinsertion sociale. Aveugle aux évolutions politiques internationales et sourd aux conseils des addictologues, le gouvernement a renoncé à s’attaquer rationnellement aux problèmes de toxicomanie. Alors que se confirme le succès des expériences de légalisation menées à l’étranger, la persécution des usagers de drogues, boucs émissaires de trafics de plus en plus violents, relève d’une logique d’un autre âge.

 

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