Cannabis : saurez-vous bien faire la distinction entre le «bien-être» et la «récréation» ?, Jean-Yves NAU, Blog Le Monde, 23 décembre 2019

Cannabis : saurez-vous bien faire la distinction entre le «bien-être» et la «récréation» ?

Jean-Yves NAU

Bonjour

Est-ce une nouvelle tentative pour dépénaliser/légaliser une substance illicite mais très largement consommée ? L’Assemblée nationale vient de créér une « Mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis ». Une mission composée de trente-trois députés et issue des réflexions de … six commissions (affaires économiques, affaires sociales, lois, finances, affaires culturelles et éducatives, développement durable).

Pourquoi développer une telle énergie législative ? Parce qu’ « en France  la réglementation des usages du cannabis a particulièrement évolué ces dix dernières années » [il s’agit de la « forfaitisation » de l’usage du cannabis]. Et des travaux qui dureront au moins un an – « le temps nécessaire pour approfondir l’ensemble des problématiques de santé et de sécurité publiques, de développement économique ou encore d’aménagement du territoire ». Au programme : examen de la situation des pays qui ont réglementé les différents usages du cannabis au sein de l’Union européenne et « sur la scène internationale » – notamment en Amérique du Nord.

Rappel du contexte national : « La filière du chanvre est une des plus anciennes du territoire français, installée sur des secteurs qui vont du bâtiment au jardinage, en passant par l’industrie automobile et le textile. La France est le leader européen même si elle perd des parts de marché avec la montée en puissance de ses voisins européens et des pays émergents qui développent leur production sur d’autres usages avec des forts débouchés dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, des cosmétiques ou encore des liquides pour e-cigarettes (sic). »

Trois têtes de chapitre :

  • Le cannabis thérapeutique. Il est autorisé dans de très nombreux pays. On se souvient qu’en France, après bien des atermoiements, un comité spécialisé (CSST) au sein de l’ANSM a rendu son avis définitif en faveur d’une expérimentation en situation réelle pour cinq pathologies spécifiques – avant « d’envisager une éventuelle généralisation ». Le pouvoir législatif a autorisé cette expérimentation pour deux ans à compter du 1er janvier 2020. Mais d’ores et déjà les députés estiment que de nombreuses questions doivent être abordées : Comment créer, à terme, une véritable filière française du cannabis thérapeutique ? Comment soutenir et sécuriser cette filière sur notre territoire dans une logique de développement durable ? Comment favoriser l’accès à des produits médicaux de qualité ?
  • Le cannabis « bien-être ». On parle ici de produits de « consommation courante » (compléments alimentaires, tisanes, cosmétiques, e-liquides, etc.). Des produits aux « vertus apaisantes », qui « n’ont pas vocation à être prescrits dans un cadre thérapeutique », qui « n’induisent aucun effet psychotrope » et qui de ce fait « ne sont pas classés parmi les produits stupéfiants ». Or, observent les députés, « alors même  que l’Union Européenne autorise la libre-circulation de ces produits », la France « interdit leur production ». Ce qui interdit aux acteurs économiques nationaux (producteurs, distributeurs, créateurs de produits, agriculteurs ou laboratoires d’extraction) « de développer une filière qui répondrait aux attentes sociétales et environnementales ». On pressent déjà ce que seront les conclusions de la Mission d’information.
  • Le cannabis « récréatif ». Faudrait-il rappeler qu’il concerne les substances comme la marijuana (feuille de cannabis) ou le haschich (résine de cannabis) qui sont interdites par le cadre légal national en vigueur ? Ou rappeler, (comme le fait de manière très documentée l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies) que les Français sont les premiers consommateurs en Europe ? Le moment est donc venu, pour les députés, « d’établir un diagnostic sur les impacts de cette consommation dans notre société, principalement sur la santé et la sécurité publiques » – mais sans oublier les impacts sur le tissu économique et les conséquences de l’évolution de la législation dans d’autres pays.

Il s’agira, aussi et surtout, de faire un premier bilan des effets de la récente ‘’forfaitisation’’ de l’usage de stupéfiants : amende forfaitaire de 200 euros pour sanctionner l’usage illicite de stupéfiants, jusqu’alors réprimé uniquement par une peine de prison et une forte amende (peu souvent prononcées). Qui pressent  ce que seront les conclusions ?

Les trente-trois membres de la Mission rendront leurs premières conclusions au deuxième semestre de l’année 2020. Développeront-ils alors un chapitre spécial sur leurs propres conceptions des relations entre deux concepts au centre de leurs travaux: celui de « bien-être » et celui de « récréation » ?

A demain @jynau

Cannabis : saurez-vous bien faire la distinction entre le «bien-être» et la «récréation» ?