Les acteurs du secteur du CBD (pour cannabidiol) qui produisent des fleurs, vendent des infusions, des compléments alimentaires ou encore des cosmétiques ont les yeux rivés sur le Luxembourg et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La juridiction européenne devrait rendre ce jeudi une décision qui encouragera ou plombera au moins temporairement un marché en plein essor.

L’affaire est à l’origine française : en 2014, deux entrepreneurs lancent Kanavape, une cigarette électronique utilisant de l’huile de CBD. Le produit est accusé d’être présenté comme un médicament, Kanavape indiquant viser le marché thérapeutique. La société propose par ailleurs un produit chargé en CBD issu de toute la plante, et pas uniquement de la tige et de la graine, comme l’oblige la réglementation française. Condamnés en première instance, les entrepreneurs ont fait appel, et c’est désormais à la CJUE de trancher. Cette décision déterminera si les restrictions françaises à l’utilisation du chanvre sont compatibles avec la libre circulation des marchandises garantie par le droit de l’Union européenne.

A lire aussi :  A Berlin, on achète du CBD à l’épicerie du coin

Le CBD, molécule qui fait partie des cannabinoïdes présents dans le chanvre, ne comporte pas d’effet stupéfiant, ni psychotrope, à l’inverse de son voisin, le THC (pour delta-9-tétrahydrocannabinol). Alors que la structure et la composition du CBD sont découvertes en 1963, celui-ci bénéficie d’un important effet de mode depuis le printemps 2018 et l’ouverture de boutiques dans le pays. «La France a un train de retard, estime le président du Syndicat du chanvre, Aurélien Delecroix. Il est temps d’avoir une réglementation claire pour assurer la traçabilité des produits.»

Le député de la Moselle et rapporteur thématique de la mission d’information autour des usages du cannabis, Ludovic Mendes, voit, lui, le chanvre comme un «véritable produit d’avenir» : «La France est le seul pays d’Europe à autoriser les produits de synthèse et pas la plante en elle-même, alors que nous sommes les premiers producteurs européens de chanvre. Exploiter les fleurs serait pourtant un rendement financier énorme pour nos agriculteurs, avec une véritable filière à développer.» En attendant l’avis de la juridiction européenne, voici un florilège des produits au CBD qu’on peut déjà trouver sur le marché français.

A la boutique de CBD (cannabidiol) et produits dérivés "Legalise", 42 rue Sedaine 75011 Paris, le 13 novembre 2020.Comme les tabacs, les boutiques de CBD sont considérées comme des commerces essentiels. Photo Iorgis Matyassi pour Libération

Des fleurs de CBD  pour «adoucir le quotidien»

Avec le confinement, les bars et restaurants de Montmartre, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, ont tiré le rideau. Même chose pour les boutiques de vêtements. Ne subsistent que de rares enseignes bénéficiant d’une autorisation. Rue des Trois-Frères, un petit comptoir a été installé devant la porte de la boutique Legalize. Tout comme les vendeurs de cigarettes électroniques ou les tabacs, les boutiques de CBD bénéficient désormais du label commerce essentiel. «Les clients font leurs commandes par téléphone ou via le site internet. On a mis en place le «click and collect», comme les autres commerçants, explique Elisabeth, installée à la caisse. Ils viennent acheter des huiles, des infusions, et aussi des fleurs de CBD.» Derrière elle, à côté de boîtes de thé au CBD, de larges bocaux renferment le précieux sésame d’où s’échappe une odeur délicate. «Beaucoup de gens qui ont des douleurs viennent chercher du CBD. Ça adoucit le quotidien et rend les douleurs tout simplement plus supportables», explique la quinquagénaire.

Chloé, la trentaine, entre accompagnée de son petit jack russell. «Je ne me souviens plus de l’herbe que mon amie avait achetée la dernière fois. Je crois qu’elle se rapprochait de l’amnesia [une célèbre variété de cannabis, ndlr] Elisabeth sort sa balance et lui délivre 2 grammes de CBD pour 16 euros. Un regard vers le chien, collerette de protection autour du cou. La vendeuse : «On vend aussi du CBD pour les animaux. C’est parfait en postopératoire, ça permet de les relaxer.»

Pour Chloé, fumer des fleurs de CBD l’aide à «souffler» : «Je n’ai jamais été une fumeuse de joints. Juste quelques taffes dans ma jeunesse. J’ai essayé le CBD pendant le premier confinement. Ça me permet de me poser et ça ne défonce pas du tout, explique-t-elle. En cette période un peu spéciale, ça ne fait pas de mal de se relaxer. Et en plus, ça a bon goût.»

E-liquides pour vapoteuses : vapeur et sans reproches

Parmi les paquets de cigarettes et flacons de e-liquide qui s’étendent derrière les comptoirs des buralistes, on peut désormais facilement trouver des liquides chargés en CBD. La marque Harmony, par exemple, propose une gamme de e-liquides très prisés des fumeurs qui testent le CBD Pen, une cigarette électronique sur laquelle vient se clipser une cartouche de liquide chargé en CBD pour moins de 10 euros. «On est la marque leader en Europe et nous sommes présents dans une quarantaine de pays. Malgré la complexité réglementaire, on a réussi à se développer, explique son fondateur, Antonin Cohen, qui a aussi lancé Kanavape. Pour être légal en France, le CBD doit venir d’une certaine partie de la plante ou être synthétique. Il n’existe pas de fondement scientifique pour justifier cette interdiction. C’est ce qui a été d’ailleurs relevé par l’avocat général de la Cour européenne.» En plus d’un spray oral à l’huile essentielle de CBD déjà commercialisé depuis peu, Harmony lancera avant la fin du mois de novembre une nouvelle gamme de cosmétiques spécialisée dans le soin de la peau. La marque Greeneo propose de son côté un e-liquide baptisé «OG Kush», «pour une expérience vape tournée vers le végétal». Depuis fin 2017, la marque française Marie Jeanne, installée à Marseille, propose également des e-liquides pour cigarette électronique confectionnés à partir d’un CBD d’origine européenne.

Des cosmétiques qui font tache d’huile

Depuis les années 90, certains produits cosmétiques ont intégré la molécule dans leur formule, sans le crier sur les toits. Ces deux dernières années, le phénomène a explosé, et afficher la présence de CBD sur l’étiquette est devenu «cool». Produite à partir des fleurs et de la tige du cannabis, riche en acide gras et en oméga, l’huile de chanvre est aussi fortement dosée en vitamines et en carotène, un important antioxydant. Adoucissante, nourrissante, revitalisante : les qualificatifs pleuvent pour décrire les bienfaits de la molécule sur la peau. Crèmes réparatrices pour les mains, les ongles, mais également baumes anti-âge, le CBD est décliné tous azimuts. Bybi Beauty, fondé par des blogueuses beauté basées à Londres, ou encore Kiehl’s du groupe L’Oréal et The Bodyshop se sont positionnées.

Chez Sephora, on peut désormais trouver la marque française Ho Karan, fondée en 2015 par Laure Bouguen. Elle commercialise une crème hydratante, un déodorant naturel, un sérum «Cannaboost» pour peaux matures, une huile au CBD… «Mes grands-parents cultivaient le chanvre à Quimperlé [Finistère] pour le transformer en papier, explique Laure Bouguen. Je me suis intéressée au chanvre comme moyen de soigner les douleurs. Mes clients utilisent notre huile au CBD pour calmer leurs troubles du sommeil et l’anxiété.» Elle propose un cannabis breton, issu de l’agriculture biologique. Pour l’huile, elle se fournit chez L’Chanvre à Gouarec (Côtes-d’Armor) et achète son CBD en Suisse, un pays bienveillant à l’égard de la culture du CBD. «On préférerait se fournir en Bretagne, mais on nous empêche encore de faire des extractions. J’ai donc choisi la Suisse car les producteurs garantissent une culture biologique

À boire et à manger

Concassées, les graines de chanvre peuvent faire une huile destinée à l’alimentation. Emma Sawko, fondatrice de Wild & the Moon, une chaîne de bar à jus et de restauration qui vend également des produits à base de CBD, propose ainsi une huile de CBD chargée à 10, 15 ou 20 %, «pour alléger les douleurs physiques ou réduire l’anxiété» ainsi que des pastilles à laisser fondre sous la langue. «Nous avons également un lait de noix de cajou contenant du CBD : le Hollyweed, explique la fondatrice. Le tout bio et sans THC.»

Plus surprenant, on retrouve désormais le CBD jusque dans le chocolat et dans le beurre de cacahuètes. Pour Ludovic Rachou, fondateur de la start-up Rainbow, le chanvre est une plante à la croisée des chemins. «En trois ans, le marché du CBD a atteint environ 400 millions d’euros en Angleterre. C’est plus que le marché de la vitamine. Il est présent partout, jusque dans les rayons des supermarchés.» En juin, il a lancé la marque Kaya, qui propose une gamme de produits de bien-être chargés en CBD : huile, compléments alimentaires, bonbons et même chewing-gum. «On se retrouve dans la situation ubuesque où on a financé notre entreprise basée en Angleterre pour des raisons légales via un réseau d’investisseurs français tels qu’Augustin, de Michel et Augustin, ou encore le fondateur de Chauffeur privé, souligne-t-il. La France a un train de retard et découvre tout juste la vague du CBD.»

Les jeans ont la fibre écolo

Fibre textile ancestrale, le chanvre a d’abord été cultivé en Europe et en Chine. Des étoffes de chanvre datant de 4 000 avant notre ère ont été retrouvées en Chine. En 1850, la fibre était présente dans près de 75 % du textile mondial. Une légende urbaine dit même que les premiers jeans Levi’s étaient fabriqués en fibre de chanvre, mais la marque n’a jamais confirmé. La griffe américaine vient toutefois d’introduire une nouvelle collection uniquement faite en chanvre. «Parce qu’il pousse plus rapidement que le coton, demande moins de ressources en eau et laisse des sols plus propres et sains», explique Levi’s sur son site. De fait, la culture consomme jusqu’à 20 fois moins d’eau que celle du coton et la plante stocke également du C02. Ne nécessitant que très peu d’engrais, le chanvre n’a pas non plus besoin de pesticides. En France, la marque Atelier Tuffery, fondée en 1892, et basée à Florac (Lozère) y recourt aussi pour ses jeans. Depuis 2018, elle propose un modèle né d’un alliage de laine et de chanvre. «Une pièce qui peut devenir un incontournable du vestiaire, grâce à ses qualités thermorégulatrices, sa robustesse et son aspect naturellement chiné», vante la marque. «Confectionner des jeans, c’est un métier du siècle dernier, mais on le développe à la manière d’une start-up moderne et éthique», explique à Libération Julien Tuffery, directeur général de la marque et arrière-petit-fils du fondateur. Son chanvre, Atelier Tuffery le sélectionne chez Virgo Coop, une coopérative basée dans le Tarn qui compte faire renaître la filière locale historique du chanvre en Occitanie.

Charles Delouche Bertolasi photos Iorgis Matyassi pour Libération