Battre le fer tant qu’il est chaud. C’est l’idée qui animait le débat sans vote qui s’est déroulé ce mercredi au Sénat autour du cannabis thérapeutique à l’initiative d’Esther Benbassa, sénatrice Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) de Paris. La veille, une conférence de presse était organisée aux côtés de médecins, de responsables associatifs et de personnes malades. Le but : échanger sur les enjeux liés à la mise en place du cannabis thérapeutique qui pourrait concerner entre 300 000 et 1 million de patients en France. «Il faut le légaliser parce qu’il y a des gens qui souffrent, qui vivent avec des douleurs insupportables. Il faut les soulager, explique la sénatrice. Le cannabis thérapeutique n’est pas récréatif mais bien à visée médicale. Les patients se fournissent aujourd’hui sur le marché légal en Suisse ou ailleurs, mais aussi via le marché illégal.»

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La France fait partie des pays qui autorisent sur ordonnance l’usage thérapeutique de molécules dérivées du cannabis. A ce jour seuls trois médicaments sont admis en théorie. Mais en réalité les conditions d’accès sont très restrictives. Le sativex, spray permettant de soulager les douleurs neuropathiques liées à la sclérose en plaques, n’a jamais été commercialisé dans les pharmacies françaises en raison d’un désaccord sur le montant de son remboursement.

Compte-gouttes

En ce qui concerne les deux autres médicaments, pour pouvoir les préscrire, le médecin doit obtenir de l’Agence nationale du médicament (ANSM) une autorisation temporaire d’utilisation nominative et justifiée par l’absence d’alternative thérapeutique. Autant dire que c’est délivré au compte-gouttes. Pour Esther Benbassa, «la France est en retard et nous avons cette image que le cannabis est un stupéfiant et qu’on en abusera si on en prescrit aux gens. Je pense qu’après les déclarations de la ministre de la Santé et du Premier ministre, il était temps pour nous aussi de mettre l’accent sur cette question.» Au printemps 2018, Agnès Buzyn avait reconnu sur France Inter le retard français : «Je ne peux pas vous dire à quelle vitesse nous allons le développer mais en tous les cas, j’ouvre le débat avec les institutions responsables de ce développement.» Le cannabis thérapeutique est déjà accessible dans une vingtaine de pays européens, tels que la Suisse, l’Allemagne ou le Luxembourg.

Souffrant d’une lésion de la moelle épinière, Mado Gilanton, porte-parole de l’association Espoir impatient a évoqué son parcours personnel. «Le cannabis m’a permis de reprendre une vie sociale. […] On sait qu’il y a des livraisons dans les services de chimiothérapie et que des médecins ferment les yeux. On sait que des urgentistes recommandent discrètement à des patients en phase terminale de prendre du cannabis. Il va falloir prendre ses responsabilités.» Invité à s’exprimer sur la question Amine Benyamina, psychiatre spécialiste des addictions, explique : «Il faut sortir ce produit de l’opprobre dans lequel il se trouve. Spécialement dans notre pays. Si le cannabis thérapeutique a du mal à émerger en France, c’est parce que les prohibitionnistes maintiennent la confusion sur le cannabis tout court.»

«Maintenir la pression»

En juin 2018, un sondage réalisé en juillet 2018 pour Terra Nova et Echo Citoyen indiquait que 82% des Français se disent favorables à un usage médical du cannabis, encadré et sous ordonnance pour le traitement de certaines maladies. «On veut coincer en France le cannabis thérapeutique justement parce que c’est du cannabis. On a un effet positif lié à la réalité et à l’expérience des autres pays, rappelle le professeur Benyamina. Maintenant, il faut maintenir la pression de manière positive, pour que cette dernière étape soit franchie. Tous les voyants sont au vert.»

Créé par l’ANSM le 10 septembre 2018, le Comité scientifique spécialisé temporaire a rendu un avis favorable à l’utilisation de cannabis à visée thérapeutiques. L’ANSM, qui doit présenter le projet d’expérimentation le 26 juin, a souscrit à ces conclusions et retenu l’usage du cannabis pour cinq indications : les douleurs réfractaires aux thérapies médicamenteuses ou non, pour certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, dans le cadre de soins de support en oncologie, dans les situations palliatives et enfin dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Charles Delouche